- 1. Deux modèles : Burckhardt, Guizot
- 2. Le monogramme de sociabilité et sa manifestation
- 3. Civilisation et culture littéraire : le vulgaire « illustre »
- 4. Civilité et relativité culturelle. Le pacte social
- 5. Ordre politique, Lumières et « Kultur »
- 6. La civilisation conçue comme actualisation de la culture
- 7. L'exemple de l'art
- 8. Rayonnement et « agalma »
- 9. Le for intérieur du social, foyer latent du rayonnement des civilisations
- 10. Origine de la brillance
- 11. Bibliographie
CULTURE Culture et civilisation
Civilisation et culture littéraire : le vulgaire « illustre »
« Le culte des belles-lettres, écrivait Grégoire de Tours dans sa Préface à son Historia Francorum, est en décadence et même il se meurt dans les villes de Gaule. Aussi, tandis que de bonnes et mauvaises actions s'accomplissaient, que la barbarie des peuples se déchaînait, que les violences des rois redoublaient, que les églises étaient attaquées par les hérétiques et protégées par les catholiques... on ne pouvait trouver un seul lettré assez versé dans l'art de la dialectique pour décrire tout cela en prose ou en vers métriques. »
De l'effondrement violent de la sociabilité – crise de « civilisation », suspension des rapports proprement « civils » – résulte donc l'éclipse d'une culture ; mais Grégoire de Tours nous fait alors assister à l'émergence d'une nouvelle culture : « Un rhéteur qui philosophe n'est compris que du petit nombre mais [...] celui qui parle la langue vulgaire se fait comprendre de la masse » (Historia Francorum, livre I).
Mais nous disposons, à l'autre extrême du Moyen Âge, d'une contre-épreuve touchant les rapports de la civilisation et de la culture.
D'un côté, c'est de l'une des formulations les plus radicales qui aient été données de l'exigence universelle et absolue de réduction de la violence qu'est issue chez Dante la notion de l'ordre « civil », notion spéculative en tant qu'elle reçoit son fondement de l'universalité de l'amour divin, notion politique en tant que ce modèle théologique trouve sa réplique dans l'universalité de l'Empire – héritière de l'universalité romaine. « La miséricordieuse providence du Roi éternel – écrit Dante en sa sixième Lettre –, qui, tout en donnant par sa bonté, l'être perpétuel aux choses célestes, n'abandonne point notre vie ici-bas, qu'il ne saurait mépriser, disposa que les affaires humaines seraient gouvernées par le sacro-saint Empire des Romains, pour que sous la sérénité d'une si haute garde le genre humain fût en repos et qu'en tous lieux, selon ce que requiert nature, l'on vécût civilement. » Toutes les ressources de la théologie et de la logique du De monarchia concourront à opposer cet idéal de « vie civile » à la fureur guerrière.
Mais, d'un autre côté, la restauration du modèle de la communauté appelle l'instauration d'un modèle de la communication. Ce sera l'objet du De vulgari eloquentia de justifier, à ce titre, la suprématie du « parler illustre » d'Italie sur la diversité des dialectes issus de la contingence des lieux et de l'arbitraire des hommes : « Car une langue varie successivement d'âge en âge et ne peut en aucune façon demeurer ; force est bien qu'elle varie en maintes variétés chez ceux qui habitent à l'écart et sans être joints, comme varient en maintes variétés les us et coutumes, qui ne sont rassis ni par nature ni par concorde mais naissent d'humain gré et de convenance locale. » Mais chaque langage particulier est emporté dans le mouvement universel qui ordonne la partie au tout. Et « puisque le vulgaire des Italiens, nous dit le De vulgari eloquentia, sonne en tant de formes diverses, mettons-nous en quête d'une langue entre toutes sans reproche, le parler illustre d'Italie ; et pour que notre chasse puisse trouver une voie bien découverte, arrachons d'abord de la forêt les broussailles emmêlées et les routes ». « En toute espèce de choses, poursuit Dante, il se doit trouver une certaine chose à quoi puissent être comparées toutes choses de ladite espèce, et d'après quoi nous puissions peser les autres et prendre leurs mesures. » Cela « d'après ce qui est le plus simple en leur espèce ». En l'occurrence, donc, de même que la vertu est critère pour l'homme[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre KAUFMANN : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Médias
Autres références
-
ÉDUCATION / INSTRUCTION, notion d'
- Écrit par Daniel HAMELINE
- 1 299 mots
– « accéder à la culture... » : la culture à laquelle on parvient par l'instruction est rupture avec celle dont on vient, et elle lui est réputée supérieure. -
AFFECTIVITÉ
- Écrit par Marc RICHIR
- 12 228 mots
...siècle par le terme d'affectivité est en réalité propre à toute humanité, c'est-à-dire, dans la mesure où il n'y a pas d'humanité sans culture – sans institution symbolique d'humanité –, propre à toute culture. L'affectivité, pour autant qu'elle désigne « la chose même » à débattre,... -
AFRIQUE (Histoire) - Préhistoire
- Écrit par Augustin HOLL
- 6 326 mots
- 3 médias
...archéologique se concentre sur l'étude des produits des activités hominidés/humaines et vise à comprendre les modes de vie et leurs transformations dans le temps. L'idée des « origines des cultures humaines » est relativement aisée à conceptualiser dans ses dimensions matérielles : la culture commence avec la fabrication... -
ANTHROPOLOGIE
- Écrit par Élisabeth COPET-ROUGIER et Christian GHASARIAN
- 16 158 mots
- 1 média
...réflexion sur la culture et sur la société, cette dualité devant conduire à deux courants de pensée complémentaires et parfois opposés. Lorsque la notion de culture rejoignit celle de civilisation (sans qu'une hiérarchie fût présupposée entre l'une et l'autre), l'ethnologie repensa son objet en fonction... - Afficher les 96 références