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CULTURE Culture et civilisation

Civilité et relativité culturelle. Le pacte social

Enluminure turque - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Enluminure turque

De la notion de « civilité », héritière de la « vie civile » de Dante, Niedermann a recueilli et discuté quelques emplois chez Érasme, Amyot, saint François de Sales, Calvin, Montaigne, Kepler enfin. En référence à Dante un fait domine : au modèle théologique du De monarchia a succédé un modèle proprement politique. Érasme songe apparemment à Machiavel, lorsqu'il écrit dans son Institutio principis christiani (1540) que la « civilité, ou que ce soit, ou bien engendre l'amour, ou bien, lorsqu'elle se rencontre chez un grand prince, adoucit la haine du peuple auquel elle est très chère ». Amyot consacre le développement du légalisme lorsqu'il écrit des Romains que « Janus institua le bon gouvernement en leur établissant de bonnes lois et civilisant leurs manières de vivre » (Demande des choses romaines, 1550). Mais, surtout, le côté « politique » de la « civilité » est bien marqué par Kepler dans son opuscule De stella nova in pede serpentarii, publié à Prague en 1606 et qui associe l'astronomie à l'histoire du monde en une fantaisie mystique : Kepler consacre en effet un chapitre, le vingt-neuvième, De trigoni ignei naturalibus effectibus, au sommeil et au réveil du monde dans le dernier millénaire. « Le peuple turc lui-même, sortant de la barbarie, a appris la civilité... Ce peuple a fait les plus grands progrès, par son activité, son industrie, son courage, tandis que les Grecs s'amollissaient ou se trouvaient en proie comme les Européens à des dissensions intestines. »

Qu'y aurait-il donc de commun entre une représentation théologique et une représentation sociologique de la vie « civile » qui pût assurer l'unité de son concept ? Dante nous a montré la voie en interposant l'autorité du monarque impérial entre l'amour du monarque divin et la civilité humaine. À ces différents niveaux entrent en jeu les différentes puissances d'un principe de communauté. De cette communauté faisons donc varier les figures : la question sera pour nous de comprendre à quel niveau la « civilité » s'est déterminée dans le concept de « civilisation ».

Mais peut-être notre tâche serait-elle facilitée si nous inversions les données du problème. Déjà saint Thomas distinguait entre les passions du concupiscible, qui concernent l'incitation au bien, et les passions de l'irascible, visant les obstacles que nous rencontrons dans sa poursuite. C'est précisément dans cette dernière perspective que se constituera le concept de culture.

Pour résumer : alors que la civilisation, dans sa représentation normative, assigne à la communauté le principe de sa constitution – la paix universelle chez Dante –, les moyens en sont développés par la culture. Bacon en pose précisément le concept, mais dans les limites et sur le modèle de cultura mentis individuelle, sans lui donner toute son extension dans le domaine de la collectivité. Hobbes, au contraire, partant de l'obstacle qu'oppose initialement à la civilisation l'amour de soi, principe de violence, et posant, dans la nécessité rationnelle de la réciprocité, l'exigence de sa résolution, fixe pour la première fois la culture dans son statut social, en tant qu'issue rétroactivement du contrat. Pufendorf, enfin, décrit dans l'ordre « civil » à la fois l'épanouissement de la culture et son garant. Poussons plus avant l'anticipation. Nous accéderons aux concepts modernes de culture et de civilisation, du moment où la singularité des organisations culturelles se découvrira solidaire de la constitution relative des systèmes de sociabilité.

Jean Bodin - crédits : AKG-images

Jean Bodin

Encore observera-t-on que la mise en évidence de la relativité culturelle a de loin précédé la mise en œuvre d'une terminologie qui lui soit appropriée et la diffusion[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

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Médias

Enluminure turque - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

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