CULTURE NUMÉRIQUE
Quel livre pour demain?
Puisque le numérique ne porte pas atteinte au principe de la lecture, qu'il conduit même, dans certains cas, des fractions de public peu portées vers l'imprimé à se remettre à lire, on peut se demander si les digital natives ne seront pas, finalement, les plus grands dévoreurs d'informations et de connaissances, partant de bribes ou d'éléments du savoir, de l'histoire de l'humanité. L'exemple des digital immigrants est éclairant de ce point de vue, puisque les forts lecteurs de livres et de revues passent aujourd'hui une partie de leur temps à naviguer sur la Toile, à aller de Gallica 2 vers la Bibliothèque électronique du Québec ou Google Print afin d'y puiser la nourriture spirituelle qu'ils demandaient auparavant aux volumes de la Bibliothèque nationale de France ou de l'une de ses petites sœurs. Les dirigeants des institutions de lecture publique, médiathèques ou bibliothèques à vocation régionale notamment, ajoutent désormais dans les rapports qu'ils rédigent à l'intention de leurs autorités de tutelle les chiffres concernant les visiteurs virtuels du site Web de leur établissement parce que les lecteurs non présents dans les salles de lecture sont de plus en plus nombreux et, pour beaucoup, plus assidus encore qu'ils ne l'étaient lorsqu'ils se déplaçaient pour consulter les ouvrages imprimés. Un certain nombre de ces lecteurs impriment d'ailleurs l'article ou le chapitre, l'image ou la photographie qu'ils manipulent, ce qui a l'avantage de rappeler que, comme toujours dans l'histoire des techniques, la dernière née ne chasse pas l'ancienne mais cohabite avec elle pendant une très longue période.
On peut toutefois imaginer dès aujourd'hui la naissance d'œuvres inconnues jusqu'ici qui mixeront le texte, l'image, le son, pourquoi pas demain le relief et, plus tard, le toucher, voire l'odorat. Ces fictions d'un genre nouveau, qu'il faudra nommer un jour comme on l'a fait pour l'épopée, le drame, la poésie, le roman, la bande dessinée ou le manga, commencent à voir le jour dans l'atelier d'un certain nombre d'écrivains tels que Jean-Pierre Balpe, Olivier Lefèbvre ou Jacques Jouet. Ceux-ci s'efforcent de combiner l'hyperactivité, le jeu ou le dialogue avec le lecteur. On voit apparaître des romans policiers dont le lecteur choisit la fin ou d'autres fictions qui entraînent effectivement le lecteur dans la construction commune avec l'auteur d'une partie de l'intrigue. Sans que ces essais débouchent pour l'instant sur l'éclosion de véritables genres, diverses expérimentations sont à l'œuvre un peu partout et l'on peut gager qu'elles contribueront au renouvellement partiel de la littérature.
Certains écrivains ont tenté également de se passer de ces intermédiaires que sont les éditeurs. Stephen King fut un des premiers à croire qu'il lui suffirait de proposer son dernier roman à suspense sur la Toile pour qu'aussitôt les lecteurs acceptent de payer le dollar qui leur était demandé afin de satisfaire leur curiosité. Oubliant un peu vite qu'éditer c'est donner à lire, révéler, donc travailler avec l'auteur pour lui permettre de montrer le meilleur de lui-même, l'écrivain américain a fait l'expérience, amère ou instructive, des limites de la technique en matière de pratique culturelle. Que la chaîne des métiers du livre soit amenée à connaître des évolutions importantes dans la décennie à venir est certain, et il faudra sans doute concevoir un modèle économique différent de celui du livre papier pour commercialiser les fichiers numériques. Cela ne remet pas en cause la nécessité des médiateurs culturels capables de faire le tri entre les manuscrits, les partitions musicales ou les œuvres picturales. [...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Yves MOLLIER : professeur d'histoire contemporaine à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Classification
Média
Autres références
-
APPRENTISSAGE AVEC LE NUMÉRIQUE
- Écrit par André TRICOT
- 1 346 mots
En moins d’un demi-siècle, les logiciels et les supports numériques ont profondément modifié de nombreux aspects de notre vie quotidienne. Dans le domaine des apprentissages académiques et de la formation professionnelle, ces modifications ont commencé au milieu des années 1980. Dans un premier ...
-
MUSÉE ET MÉDIATION NUMÉRIQUE
- Écrit par Geneviève VIDAL
- 3 325 mots
- 1 média
Les médiations numériques muséales, qui relèvent d’innovations techniques, culturelles et sociales en évolution permanente, font l’objet d’une grande variété d’usages, par le biais de dispositifs de communication. Elles soulèvent plusieurs enjeux relatifs aux politiques numériques conduites...
-
NUMÉRIQUE, anthropologie
- Écrit par Julien BONHOMME
- 1 440 mots
Les anthropologues s’attachent à problématiser et à déconstruire l’opposition entre le « réel » et le « virtuel » à travers laquelle Internet est généralement pensé. Ils explorent l’univers des interactions virtuelles en s’intéressant au degré de réalité et d’authenticité que leur prêtent... -
APPRENTISSAGE ET INTERNET
- Écrit par Franck AMADIEU et André TRICOT
- 1 204 mots
Grâce au Web (World Wide Web), Internet permet à des milliards d’humains d’accéder à des milliards de documents. Ceux-ci contiennent des images, des textes, des vidéos, des sons… sur à peu près tous les sujets. Ils peuvent répondre à des besoins divers : se renseigner ponctuellement sur un horaire...
-
APPRENTISSAGE DES LANGUES ÉTRANGÈRES
- Écrit par Daniel GAONAC'H
- 1 242 mots
Les recherches sur l’apprentissage des langues étrangères ont d’abord été liées au domaine de la psycholinguistique, puis à celui du bilinguisme. Elles prennent actuellement davantage en compte les concepts de la psychologie cognitive : modalités d’apprentissage, automatisation, coût cognitif....
-
APPRENTISSAGE ET TABLETTES TACTILES
- Écrit par Franck AMADIEU et André TRICOT
- 922 mots
Depuis le début des années 2010, les tablettes tactiles ont fait leur apparition dans le monde de l’éducation, de l’école primaire à l’enseignement supérieur. Plus petites et moins lourdes que les ordinateurs portables, elles possèdent une interface tactile qui permet d’interagir directement à l’aide...
- Afficher les 29 références