CULTURE Sociologie de la culture
Le découpage des spécialités sociologiques oscille habituellement entre deux principes. Selon une répartition thématique, elles sont constituées en fonction de domaines empiriquement distingués (comme la sociologie du sport ou de la santé). Un partage d'ordre plus conceptuel repose quant à lui sur des orientations ou au moins des questions de recherche (comme la sociologie des organisations ou de la déviance).
La sociologie de la culture n'échappe pas à cette hésitation. De prime abord, elle couvre un secteur plus ou moins clairement délimité, qui englobe la sociologie de l'art et ce qui est socialement désigné comme relevant de la « vie culturelle ». Elle regroupe alors un ensemble de subdivisions (sociologie de la lecture ou de la musique) et intègre de manière variable des domaines connexes comme la sociologie des médias, des loisirs ou des intellectuels. Son périmètre diffère d'ailleurs fortement selon les traditions scientifiques : il est tendanciellement plus restreint dans la sociologie française que dans le monde anglo-saxon, où le label sociology of culture intègre notamment le sport, les attitudes vestimentaires, les modes de vie, voire la science.
La sociologie de la culture peut aussi se définir de manière transversale comme l'analyse des biens symboliques (œuvres d'art, productions intellectuelles ou médiatiques). L'étude de leur production, de leur diffusion, de la définition de leur valeur, de leur appropriation différenciée et de leurs usages sociaux peut alors offrir un point de vue spécifique à l'observation plus générale des rapports sociaux. En l'envisageant de cette manière, on comprend que la place de la sociologie de la culture dans l'analyse sociologique excède de loin celle d'une simple spécialité thématique.
L'émergence d'un champ de recherche
La plupart des fondateurs de la discipline sociologique ont abordé les questions artistiques et culturelles. Même si leurs œuvres n'y renvoient souvent que de manière allusive (chez Émile Durkheim) ou ponctuelle (comme la sociologie de la musique de Max Weber), leurs apports sont décisifs pour la constitution ultérieure de ce domaine de recherche. L'exemple le plus évident en est donné par la sociologie de Karl Marx. Bien qu'elle ne consacre spécifiquement que peu de pages à l'art ou à la littérature, elle a fourni un point d'appui majeur pour leur analyse sociologique, en invitant à les rapporter aux structures et rapports socioéconomiques qui leur confèrent leur forme, leur sens et leur fonction.
Sans doute plus que d'autres champs de la sociologie, la sociologie de la culture s'est largement constituée grâce aux travaux d'autres disciplines. Pour n'en donner que quelques exemples, elle doit beaucoup de ses orientations à des auteurs provenant des études littéraires (comme Mikhail Bakhtine ou Richard Hoggart), de la philosophie (comme Theodor Adorno ou John Dewey), de la sociolinguistique (comme William Labov) et bien sûr de l'histoire (d'Erwin Panofsky à Carlo Ginzburg). L'anthropologie, notamment américaine, a également joué un rôle majeur dans sa genèse, en faisant de la culture une notion centrale des sciences sociales, en insistant sur les dimensions symboliques de la vie en société, et en illustrant une posture « relativiste », qui a notamment animé nombre de sociologues dans leur étude des « cultures populaires ».
Outre ces origines intellectuelles, la constitution de la culture comme champ de recherche sociologique à partir des années 1960 doit beaucoup aux logiques d'affirmation de la discipline sociologique au sein du champ universitaire, particulièrement en France. Prendre pour objet l'organisation du marché de la peinture (Raymonde Moulin, Le Marché de la peinture en France, 1967) ou la fréquentation des musées (Pierre Bourdieu[...]
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Écrit par
- Vincent DUBOIS : professeur de sociologie et de science politique à l'Institut d'études politiques de Strasbourg, G.S.P.E.-P.R.I.S.M.E. (C.N.R.S., U.M.R. 7012)
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