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CYCLE

Une conception cyclique du temps a souvent été comprise par la pensée moderne comme la marque du primitivisme d'une culture ou le symptôme d'une régression archaïsante chez un sujet. Une telle conception, dans les deux cas, résulterait d'une attitude de fuite devant la réalité de l'irréversibilité temporelle. La reconnaissance de cette irréversibilité, comme formant l'essence du temps, fonde la compréhension du monde et de l'histoire de l'homme occidental moderne. C'est par un rejet de toute intuition cyclique du temps que s'est constituée la croyance rationaliste en un progrès de l'humanité, qui est une des composantes majeures de l'idéal des Lumières. Selon Hegel, ce rejet exprimerait la reconnaissance du hiatus séparant l'ordre de la nature (où tout se reproduit et se répète) et l'ordre de l'histoire (temps événementiel dont l'essence est la non-répétition). L'historicisme est ainsi le présupposé qui, depuis deux siècles, nous fait interpréter toute autre attitude vis-à-vis du temps comme la marque d'un mode « dépassé » de pensée. Suspectée d'archaïsme, l'intuition cyclique du temps essuie toutes les critiques contemporaines : critique politique (elle apparaît comme intrinsèquement réactionnaire), critique épistémique (attitude antipositive, elle semble une résurgence du métaphysique sous ses formes les plus aberrantes, telles que biocosmisme, astrologie, hiérohistoire, etc.), critique psychanalytique (elle véhiculerait les « illusions » mythiques individuelles et collectives, qui seraient autant d'aspects d'une attitude régressive et infantile).

Mais, à l'inverse, on peut soutenir que la pensée du temps cyclique prétend introduire à une expérience temporelle du sacré. En effet, de plus en plus nombreux sont les ethnologues, mythologues, métapsychologues, folkloristes, comparatistes, voire philosophes, qui remettent en cause l'absolue objectivité d'un temps linéaire. Plusieurs, tels H. Corbin, A. Coomaraswamy ou D. Charles, ont pris en compte le sérieux philosophique que véhicule la conception cyclique du temps — y voyant une alternative réelle au temps linéaire et accumulatif de la technique. Ni primitive, ni infantile, ni archaïque, mais archétypique selon C. G. Jung, cette conception d'un temps cyclique fait partie de l'héritage immémorial de l'humanité. Elle se retrouve en toute civilisation, à toute époque, sur tous les continents. Elle y exprime l'attitude traditionnelle de l'humain face à une historicité dont le sens est problématique.

Parmi les mythologues, Mircea Eliade est l'un de ceux qui ont le plus fermement remis en cause l'historicisme et le rejet de l'intuition du temps cyclique. Il a critiqué l'attitude de la civilisation technicienne en montrant toute la richesse humaine de l'expérience du temps propre aux civilisations traditionnelles. Il a consacré notamment tout un livre au Mythe de l'éternel retour, y montrant la complexité du temps sacré ou « grand temps », porté par la reconnaissance d'une non-homogénéité du temps. Ce temps cyclique du recommencement et de la réitération est structuré par des périodes (âges), des seuils (initiation), des récursivités (oracles), des discontinuités (temps morts), des crises agonistiques (guerre) ou ludiques (carnaval), etc., qui ont pour but d'initier l'humain à une forme temporelle du sacré.

Eliade, pour qui le temps cyclique est d'abord une hiérophanie, va accepter les positions de la psychologie des profondeurs de Jung. S'opposant à des chercheurs tels que Marcel Granet ou Marcel Mauss, qui affirment une origine sociale de la rythmicité du temps sacré, Eliade a soutenu que c'est, au contraire, à partir de l'intuition première, a priori ou archétypique, d'un[...]

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