ARTHURIEN CYCLE
Les origines du genre
Une floraison littéraire d'une telle richesse a attiré depuis longtemps l'attention des érudits. On s'est efforcé d'en expliquer la genèse et l'évolution. Pourquoi les exploits d'un héros étranger, du roi d'une terre conquise par les Normands ont-ils pris la place qu'occupaient autrefois les pairs de Charlemagne ? Les romans français se trouvent-ils à la source de la littérature arthurienne européenne ? Faut-il croire que les autres pays n'ont fait que remanier des textes français ? On serait tenté de reprocher aux spécialistes de n'avoir jamais pris une vue panoramique du problème. Les celtisants ne comprennent pas toujours le français médiéval ; les spécialistes du moyen-anglais ont des connaissances assez vagues de la langue irlandaise du Moyen Âge. En outre, nous retrouvons souvent dans toute cette littérature des motifs qui appartiennent au domaine du folklore, par exemple dans le Chevalier Vert ou le Château des Pucelles.
Deux hypothèses principales ont été avancées : selon la plus classique, voici comment les Français ont recueilli la tradition celtique. Après la conquête normande de l'Angleterre, les Français, qui avaient construit des châteaux sur les frontières actuelles du pays de Galles, eurent des contacts répétés avec les Gallois. Rien de plus naturel, pour les romanciers anglo-normands, que d'emprunter les thèmes littéraires de leurs voisins. Ajoutons que le chroniqueur Giraldus Cambrensis (le Gallois) nomme un certain Bledhericus, famosus fabulator, c'est-à-dire un conteur gallois dont le nom se trouve dans le roman français de Tristan, sous la forme Bréri, ainsi que dans d'autres romans arthuriens français. Ferdinand Lot, Joseph Lot et, plus récemment, Jean Marx ont insisté sur l'importance des rapports directs entre Gallois et Normands.
Mais comment expliquer que le poème gallois de Kulwch et Olwen n'ait pas de rapport apparent avec les autres épisodes des Mabinogion ? Que les poèmes en moyen-anglais ont, pour la plupart, des sources françaises et non des sources galloises ?
La seconde hypothèse, avancée par des savants gallois, met en lumière l'intervention d'Armor et des ménestrels. Joseph Bédier, dans son édition du Tristan de Thomas, l'a décrite de façon magistrale. Après la bataille d'Hastings, « toute la civilisation normande se trouva brusquement transplantée telle quelle dans les châteaux d'outre-Manche, et les jongleurs armoricains y suivirent leurs patrons : jongleurs armoricains, mais plus qu'à demi romanisés, mais vivant au service de seigneurs français et contant pour leur plaire ».
Il paraît donc probable que les récits celtiques ont été livrés aux conteurs français par l'intermédiaire des ménestrels bretons, qui étaient bilingues, ou même trilingues. Mais c'est grâce aux auteurs français que le cycle arthurien s'est répandu dans l'Europe entière. On a beaucoup disputé de l'importance de la contribution celtique. Chrétien de Troyes, par exemple, a-t-il tout inventé, ou trouve-t-on dans ses œuvres une large part d'inspiration celtique ? Ne nous transmet-il pas des mythes dont il n'a pas saisi tout le sens ? Le royaume de Gorre, un pays entouré par un fleuve dangereux que l'on ne traverse que par le Pont de l'Épée ou le Pont sous l'Eau, évoque l'Autre Monde des Celtes. Le beau verger, ceint d'une muraille « invisible comme l'air, mais résistante comme l'acier », et d'une palissade où sont plantées les têtes coupées des vaincus, verger qui est le théâtre de la « Joie de la Court » dans Érec, fait songer, lui aussi, à la mythologie celtique. L'Île Noire, ou l'Île de Voire, l'Insula Vitrea de Glastonbury, n'est-il pas un autre souvenir celtique que conserve La Mort le[...]
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Écrit par
- Cedric E. PICKFORD : docteur ès lettres, officier des palmes académiques, professeur de littérature française du Moyen Âge à l'université de Hull (Royaume-Uni)
Classification
Média
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