CYCLES ÉCONOMIQUES
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L'État et le cycle des affaires
Tout autant que celle des cycles longs, l'explication des cycles plus courts (Juglar) divise les économistes. En la matière, le débat s'est porté sur le rôle de l'État pour contrer ou atténuer les cycles d'affaires.
Le rôle de la politique économique
Pour ceux qui s'inscrivent dans la tradition keynésienne, comme Jean-Paul Fitoussi en France, Joseph Stiglitz ou Paul Krugman aux États-Unis (ces deux derniers ayant reçu le prix Nobel d'économie, en 2001 et 2008, respectivement), les cycles courts sont le résultat de politiques économiques inadaptées. Cette lignée de pensée, reprenant les apports de Paul Samuelson (lauréat du prix Nobel d'économie en 1970), fait reposer les mécanismes cycliques sur le marché lui-même. Lorsque les affaires marchent, les entreprises investissent et constituent des stocks, ce qui stimule la croissance. Mais, pour peu que des signes avant-coureurs de ralentissement se fassent sentir, elles freinent leurs investissements et réduisent leurs stocks, ce qui accentue le ralentissement : c'est le mécanisme dit de l'accélérateur, qui fonctionne en cercle tantôt vertueux, tantôt vicieux. Vertueux, lorsque les entreprises investissent, car elles embauchent alors et donc distribuent de plus en plus de revenus. Mais lorsqu'elles freinent leurs investissements, le cercle devient vicieux : moins d'embauches, donc des débouchés qui croissent moins vite, donc encore moins d'investissements. Cette séquence est typiquement keynésienne.
Le rôle accélérateur de la finance
À partir des années 2000, cette analyse s'est enrichie d'une prise en compte du rôle accélérateur de la finance (notamment avec l'apport d'André Orléan en France et de George Akerlof et Robert Shiller aux États-Unis). Les marchés financiers sont caractérisés par le fait que la hausse des prix des titres cotés attire des épargnants, car ils espèrent que la poursuite de cette hausse leur permettra de revendre les titres acquis avec des plus-values. Alors que, sur le marché des biens ou des services, la hausse des prix réduit la demande, sur les marchés financiers, elle la stimule, créant ainsi un mouvement mimétique : si les autres achètent, ce n'est pas sans bonnes raisons, je vais donc les imiter. Se forment ainsi des « bulles spéculatives », lesquelles finissent par exploser, ruinant ceux qui, n'ayant pu revendre à temps, ne trouvent plus personne pour acheter (c'est le phénomène du krach : il y a une offre, mais pas de demande).
Dans le cas de la crise des subprimes, ce mécanisme s'est doublé d'un autre : la titrisation, terme désignant le fait que les banques (essentiellement américaines) ayant consenti des prêts de toute nature (à des particuliers ou à des entreprises) émettent des titres (dits « dérivés ») dont la valeur est indexée sur le rendement financier de ces prêts, ce qui leur permet de se « refinancer » tout en faisant reposer sur les acheteurs de ces titres le risque de non-remboursement de certains des prêts consentis. Les difficultés de remboursement d'une partie des prêts immobiliers subprimes (à risque) 'se sont donc traduites par une baisse sensible des titres indexés sur ces prêts, et tous leurs détenteurs – parmi lesquels de nombreuses institutions financières gérant l'épargne de particuliers – ont cherché à se défaire de ces « actifs toxiques », provoquant un krach particulièrement important qui a mis en danger non seulement les banques émettrices de ces titres dont nul ne savait au juste la valeur « réelle », mais aussi toutes les institutions devenues incapables de faire face aux demandes de remboursement de l'épargne placée qui avait en partie servi à acquérir ce type de titres. La panique bancaire potentielle a pu être arrêtée grâce à l'action résolue des États et des banques centrales, qui ont avancé l'argent nécessaire pour calmer le jeu. Mais cela a eu pour effet de contribuer à endetter davantage encore certains États qui l'étaient déjà beaucoup, d'où une crise de méfiance sur les pays de la zone euro les plus endettés et, par contrecoup, sur l'euro lui-même et la capacité de certains États à rembourser leurs dettes publiques.
L'État : régulateur ou perturbateur ?
L'État a donc un rôle régulateur important à jouer, qui consiste certes à stimuler la croissance, mais aussi 'à la « lisser », en réduisant les emballements et en freinant les mouvements récessionnistes. Mais, faute de moyens d'action – par exemple sur l'économie financière, largement mondialisée – ou faute de volonté, les différents États ont de moins en moins joué ce rôle. Cela expliquerait l'ampleur croissante des mouvements cycliques en économie, que ce soit sous l'influence d'une finance moutonnière ou sous celle de l'accélérateur de Samuelson.
Pas du tout, rétorquent, dans le camp opposé, ceux qu'on appelle les « nouveaux classiques » (notamment Robert Lucas, Prix Nobel d'économie en 1995) ou les tenants de la théorie des « cycles réels » (Fynn Kydland et Edward Prescott, Prix Nobel d'économie en 2004). Les uns et les autres dénient toute efficacité à la politique économique. Les nouveaux classiques estiment que les agents économiques anticipent rationnellement ce qu'il va se passer : par exemple, si l'État, pour empêcher le freinage de l'économie, relance la dépense publique, les contribuables, anticipant qu'il leur faudra payer la note sous forme d'impôts accrus un jour ou l'autre, réduisent leurs dépenses privées, et la stimulation publique n'aura aucun effet. Quant à l'école des cycles réels, elle avance que, loin d'être le fait d'un mauvais fonctionnement du marché, les cycles sont en réalité la réponse optimale des agents soumis à des « chocs » réels. Par exemple, si la productivité du travail qui augmentait jusqu'alors cesse d'augmenter, les entreprises vont s'ajuster au mieux, et la fluctuation qui en résulte n'a rien d'aberrant. En intervenant pour contrer cette réaction spontanée du marché, l'État joue les éléphants dans un magasin de porcelaine. Mieux vaut faire confiance au marché.
Les leçons des crises
Comme c'est souvent le cas, les économistes sont donc loin d'être unanimes tant sur les causes que sur les conséquences des cycles économiques. Toutefois, pour tempérer quelque peu le sentiment de joute intellectuelle gratuite qui pourrait se dégager de ce passage en revue des grands courants d'analyse, deux remarques s'imposent. La première est que les effets des cycles peuvent être destructeurs. On l'a dit : le monde des pays industriels a conservé la mémoire de la « grande crise », celle qui a ruiné nombre de pays et abouti à l'arrivée du nazisme au pouvoir en Allemagne. L'Argentine, au début des années 2000, a vécu un traumatisme analogue qui, même s'il était dû principalement à une mauvaise gestion de la monnaie argentine, a laissé des traces durables dans le pays. Enfin, la crise de 2008, qui a frappé durement les pays les plus développés, montre que le débat autour des politiques anticycliques n'a rien de désincarné. On ne peut d'ailleurs s'empêcher de penser que les tenants du « laisser-faire » jouent avec le feu en déclarant que les mécanismes spontanés du marché sont de meilleurs régulateurs que quelque politique publique que ce soit : l'expérience d'un siècle et demi de crises récurrentes ne va pas dans ce sens.
La seconde remarque porte justement sur le fait que si nous avons connu des crises financières non négligeables depuis celle de 1929, elles ont toujours pu être jugulées et, au moins dans les pays de vieille industrialisation, aucune n'a débouché sur une crise économique majeure. Sans doute n'est-ce pas sans raison : l'expérience a permis d'apprendre, et il existe désormais, même au niveau international, des « pompiers » dont les lances ne sont pas inefficaces pour éteindre les incendies qui menacent de dégénérer, ou, au moins, pour les circonscrire : en 2008, lorsque les marchés financiers occidentaux se sont effondrés brutalement, les banques centrales ont su réagir bien plus vite et bien plus fort qu'en 1929. Reste que, face à des marchés financiers de plus en plus importants, la capacité des États et des banques centrales à faire face a montré ses limites. Face au danger, les économistes, dans leur majorité, sont assez d'accord sur ce qu'il convient de faire : réguler la finance et ses mouvements spéculatifs. Car la finance, utile et nécessaire, peut devenir destructrice au-delà d'un certain seuil de profit, qui se paye forcément d'un niveau de risque élevé. Mais il s'agit là d'un problème largement politique sur lequel les principaux États ont bien du mal à se mettre d'accord.
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Écrit par
- Denis CLERC
: conseiller de la rédaction du journal
Alternatives économiques
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