Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

NORWID CYPRIAN KAMIL (1821-1883)

La recherche du signe

Norwid se range lui-même dans une génération « surnuméraire ». En effet, après l'échec de l'insurrection de 1830, presque tous les écrivains importants se retrouvent à l'étranger ; c'est le règne du romantisme social, mystique et messianique de Mickiewicz, Słowacki et Krasiński. Norwid, de vingt ans plus jeune, suit ses aînés car il lui est impossible de penser et d'écrire sous la terreur instaurée par Nicolas Ier : rester en Pologne serait se condamner à un provincialisme stérile. Cependant, il se trouve tout autant solitaire hors de son pays, étranger au monde bourgeois qui l'entoure et au romantisme de ses prédécesseurs qui régentent l'émigration polonaise. La solitude de Norwid a cependant une contrepartie : son indépendance et sa disponibilité intellectuelle. Inclassable, il ne peut être rapproché d'aucune des grandes familles poétiques de son temps. De formation romantique, il rejette la révolte métaphysique et l'individualisme exacerbé ; admirant la tradition classique, il rêve d'une poésie de mesure et de vérité ; mais ses propres poèmes, masqués, chargés d'allusions et souvent hermétiques, annoncent plutôt les techniques symbolistes. Cependant, Norwid n'a absolument rien de commun avec le Parnasse français.

Poète de la civilisation, Norwid ne cesse de réfléchir sur l'histoire, mais celle dont il voit les splendeurs lui semble pure illusion, comparée au « travail intérieur » effectué par l'humanité selon les desseins impénétrables de Dieu, mûrissement infini dont seul le poète sait déchiffrer les signes. Maudissant ceux qui veulent « enfermer l'église dans l'autel », Norwid est aussi inlassable dans sa dénonciation du pharisaïsme, que lorsqu'il exprime son horreur de la jungle capitaliste des métropoles, comme l'atteste son poème sur Londres, cité du mépris. Cependant, il ne se rapproche nullement du mouvement ouvrier ou révolutionnaire (bien qu'il se déclare républicain et que le socialisme ne l'effraie pas). La poésie de Norwid est essentiellement quête incessante de signes, signes moraux, intellectuels, politiques de la vérité cachée de l'histoire ; et, aussi, recherche de la totalité, saisissable seulement dans la dialectique de l'« incomplet » et du « complémentaire » – dialectique dont l'origine hégélienne reste toujours discutée. Le désir de plénitude et l'obsession de la totalité s'expriment chez Norwid par les images du nœud, de la chaîne, du lien, de la voûte, tandis que la recherche du signe se traduit par son goût de l'aphorisme, du paradoxe, de la fausse étymologie et du détail symbolique, par des changements continuels de perspective et des manipulations syntaxiques. Toute beauté facile est bannie du lyrisme de Norwid qui s'exprime surtout par l'ironie, l'allusion et le « silence », l'ellipse, la suspension du sens – termes qui jouent chez lui un rôle double indiquant en même temps des traits de la réalité et des moyens de style. Il laisse une théorie du silence et du masque dans la poésie, insiste sur la réforme de la versification et introduit en polonais une sorte de vers libre. Son originalité et surtout l'identification de la réflexion intellectuelle et du lyrisme le plus personnel ne vont pas sans contrepartie : des scories subsistent dans cette œuvre qui, cependant, frappe et récompense constamment le lecteur.

Le génie de Norwid est surtout lyrique. Son chef-d'œuvre, Vade mecum (1865) ordonne cent poèmes en un « voyage intérieur » du poète, plein d'allusions à L'Odyssée, à Dante et, probablement, aux Fleurs du mal. Il s'essaye également aux poèmes épiques (Quidam, 1855 ; Assunta, 1870), satiriques (A Dorio ad Phrygium, 1871) ou didactiques ; dans ces derniers apparaissent[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification