CYRANO DE BERGERAC (mise en scène D. Podalydès)
Le 28 décembre 1897, Cyrano de Bergerac était créé à Paris, au théâtre de la Porte Saint-Martin. Auteur déjà, à vingt-neuf ans, de deux pièces oubliées aujourd'hui – Princesse lointaine et La Samaritaine –, Edmond Rostand pensait courir à la catastrophe. À peine la représentation achevée, le public lui fit un triomphe ; il obtint la Légion d'honneur et fut reçu, quatre ans plus tard, à l'Académie française.
Entrée seulement en 1938 au répertoire de la Comédie-Française, la pièce ne va cesser d'y être régulièrement représentée avec le même succès jusqu'en 1964. Puis, hormis une reprise en 1976 – mais c'était au Palais des Congrès, le Français étant en travaux – plus rien. Elle vient de retrouver les ors et velours rouges de la salle Richelieu. Après quarante ans d'absence, ce retour faisait figure d'événement. D'autant qu'il était le fait d'un acteur-metteur en scène que l'on n'attendait pas : Denis Podalydès.
Engagé en 1997 à la Comédie-Française, ce sociétaire de quarante-trois ans, également vedette de cinéma et écrivain (Scènes de la vie d'acteur, Seuil, Paris), semblait attiré par des écritures plus contemporaines, ainsi qu'il l'a montré à travers ses créations – hors de la Comédie-Française – de deux textes d'Emmanuel Bourdieu : « Tout mon possible » en 2000, et « Témoignage ? Je crois » en 2003. Son choix de Cyrano de Bergerac, pour ses premiers pas de metteur en scène au Français, surprend. Lui-même en convient dans le programme. « Cyrano de Bergerac est une pièce que j'ai dédaignée pendant des années, explique-t-il. Je n'y voyais que poussière, boursouflure, célébration cocardière et claironnante d'une France éternelle. » Ce n'est qu'en relisant le texte qu'il y a trouvé finalement le même plaisir qu'« en lisant Le Soulier de satin de Claudel. Cyrano est un rêve de théâtre total ». Et c'est bien un « rêve de théâtre » qu'il met en scène. Débarrassant la pièce de tous ses poncifs de « comédie héroïque », il impose un regard neuf et frais, tendre et poétique, célébrant la magie du théâtre et des mots, fussent-ils assemblés en vers de mirliton...
Dès le lever du rideau, le ton est donné : transformant en impromptu la première scène – la « représentation à l'Hôtel de Bourgogne » –, Denis Podalydès rend hommage aux grands comédiens du Français dont un film, tourné en vidéo, projette les visages : Pierre Dux, Jean Piat, Denise Gence, Louis Seigner, Robert Hirsch, Roland Bertin... Le décor est de carton pâte, donnant à voir autant les coulisses que la salle et la scène. L'atmosphère est celle des Enfants du Paradis. Les costumes, créés par Christian Lacroix, mêlent habilement les époques, du xviie siècle de Cyrano au xixe de Rostand, voire au xxe de la Grande Guerre, avec ses cadets de Gascogne en uniforme de « poilu ».
Loin de tout réalisme cocardier, de tout romantisme sirupeux, la mise en scène transporte hors du temps, hors du monde, à l'exception de celui du conte. Les séquences se succèdent comme se tournent les pages des livres pour enfants. Les images sont belles, graves, drôles, inquiétantes ou bouleversantes : un coup, c'est le chœur des Cadets de Gascogne qui ne déclament plus leur fameuse tirade d'un air bravache mais la laissent échapper tel un chant profond plein d'émotion ; un autre, c'est le drap rouge dont s'enveloppe Cyrano pour la fameuse scène des « voyages dans la lune » racontés sur le mode de la commedia dell'arte ; un autre encore, c'est le parterre de fleurs qui recouvre le champ de bataille lors du siège d'Arras – des fleurs du même rouge que les petits papiers qui s'envolent, gouttes de sang s'échappant des blessures des soldats.[...]
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Écrit par
- Didier MÉREUZE
: journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à
La Croix
Classification
Média