D'UN CHÂTEAU L'AUTRE, Louis-Ferdinand Céline Fiche de lecture
De retour de son exil danois, à la suite de son amnistie, en 1951, Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) publie successivement deux romans, Féérie pour une autre fois (1952) et Féérie pour une autre fois II : Normance(1954), qui se révèlent des échecs critiques et commerciaux. Après la parenthèse des Entretiens avec le Professeur Y (1955), interview fictive dans laquelle l’écrivain s'explique sur son style, il revient au roman en 1957 avec D'un château l'autre, récit de son séjour à Sigmaringen, en Allemagne, où, dans le sillage du gouvernement de Vichy et des collaborateurs, il a fui l'arrivée des Alliés en compagnie de son épouse, Lucette Destouches (née Almansor), de son ami l'acteur Robert Le Vigan et de son chat Bébert. Avec ce livre, à la promotion duquel il se plie volontiers (entre autres, un entretien avec Madeleine Chapsal, publié dans L'Express, et un autre, télévisé, avec Pierre Dumayet, dans Lecture pour tous), Céline renoue avec le succès, sans doute en grande partie en raison de la curiosité du public pour sa personnalité sulfureuse et pour les circonstances historiques évoquées, récentes mais mal connues.
D'un château l'autre sera suivi de Nord (1960) et de Rigodon (1969, posthume), avec lesquels il forme ce qu'on a coutume d'appeler sa « trilogie allemande ».
Le « cirque » de Sigmaringen
Les trois livres, qui ont pour sujet commun les tribulations du narrateur et de ses compagnons dans une Allemagne en pleine débâcle, sont en effet d'autant plus difficilement dissociables que leurs temporalités s'entremêlent, l'action de D'un château l'autre suivant celle de Nord et s'insérant au milieu de celle de Rigodon. Cependant, si le récit se focalise bien sur les quelques mois passés à Sigmaringen, petite ville du Bade-Wurtemberg où se retrouvent un temps les collaborateurs français en fuite, celui-ci ne s'y résume pas. Alternent – voire se superposent – en effet constamment présent et passé, soliloque sur la situation de l'écrivain depuis son retour en France (en 1951) et souvenirs de cette improbable « villégiature » dans le château de la famille princière des Hohenzollern, délogée par Hitler en 1944 pour y installer le gouvernement de Vichy en exil.
Comme dans Mort à crédit (1936) et les deux Féérie pour une autre fois, le livre s'ouvre sur le présent de l'écriture : installé dans les hauteurs de Meudon avec son épouse, le narrateur gémit sur son sort de médecin sans malades et d'écrivain sans lecteurs, à la fois paria et bête curieuse. Entre lamentations et imprécations, tout y passe : les libérateurs qui lui ont volé ses manuscrits, le monde des lettres qui veut sa mort, les assurances sociales, les autos, la fin de la « race blanche »... De ce monologue rageur et obsessionnel émerge la figure honnie de l'éditeur (Achille ou Brottin pour Gaston Gallimard, Norbert Loukoum pour Jean Paulhan, directeur de la NRF), présenté comme une sangsue et un exploiteur. Rendant visite à Mme Niçois, l'une de ses dernières patientes, dans sa maison en bord de Seine, le narrateur contemple l'activité portuaire et le trafic des péniches, et croit voir un bateau-mouche qui lui rappelle son enfance. Pour en avoir le cœur net, il se rend sur le quai et croise son ami, l'acteur Robert Le Vigan – dit La Vigue. Cette rencontre, hallucinatoire – le bateau-mouche prend l'apparence de la barque de Charon, le nocher des Enfers –, donne le départ aux souvenirs. De retour chez lui, fiévreux et grelottant, le narrateur se remémore l'épuration et la prison au Danemark, reprend ses récriminations diverses puis, une fois la fièvre retombée, se résout à céder à son éditeur, qui le harcèle, et entreprend de raconter son « pittoresque séjour » à Sigmaringen (orthographié « Siegmaringen »). [...]
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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