DADA
C'est miracle qu'on puisse aujourd'hui voir et lire des œuvres du mouvement dada, en dépit de sa persécution par le régime nazi (il est le seul mouvement explicitement désigné par Hitler dans Mein Kampf), des autodafés qui ont consumé « l'art dégénéré », de la fragilité et du caractère périssable des matériaux utilisés, et surtout de son hostilité envers la bourgeoisie de son temps. Il faut croire que celle-ci fut suffisamment libérale ou masochiste pour accepter et même consacrer ce qui ne visait qu'à sa destruction, en se pressant aux expositions, en surenchérissant dans les salles des ventes, en gardant précieusement dans ses coffres l'essence même de l'éphémère.
Le mouvement dada a créé son propre mythe en se présentant lui-même comme purement subversif et terroriste, que ce soit en matière d'art, de littérature, de morale sociale ou individuelle.
Jamais mouvement de l'esprit n'a été moins assujetti à la patrie d'origine de ses promoteurs. Né à peu près simultanément en Suisse et aux États-Unis, il essaima rapidement dans plusieurs pays de l'ancien continent. Dada est un mouvement international ; on aurait mauvaise grâce à déceler en lui l'esprit caractéristique d'un peuple plutôt que d'un autre, comme le firent les contemporains.
Dada récuse la distinction des genres et dépasse les limites de chaque discipline. Tout son effort a consisté à semer la confusion dans les arts et à réduire les frontières dressées entre l'art, la littérature, voire les techniques, accumulant tableaux-manifestes, poèmes-manifestes, poèmes simultanés avec accompagnement de bruits, collages, photomontages, etc. Il s'est emparé pour cela de tous les matériaux considérés comme étrangers à l'art (fils de fer, allumettes, lieux communs du langage, photos, slogans journalistiques, objets manufacturés) pour en faire un assemblage homogène, cohérent en lui-même et ne souffrant la critique que de son seul point de vue.
Pour ce qui concerne l'art, il n'a pas voulu créer, dit-il, mais détruire. Il a refusé qu'on le dise artiste et que l'on nomme œuvres les produits de son activité. Faut-il le croire sur parole ? L'idéologie de Dada, sa négativité de principe fut certainement le lieu commun où des esprits très différents se sont retrouvés dans un désir unanime de changement. Mais il est peu vraisemblable que l'ensemble de ceux qui partagèrent ce désir aient pu se satisfaire de détruire, dans une suite de gestes de révolte. Il faut au moins examiner l'hypothèse d'une positivité de Dada, d'une attitude vraiment révolutionnaire, c'est-à-dire constructive, d'autant plus probable que les participants du mouvement avaient commencé leurs activités artistiques avant sa naissance et qu'ils ont poursuivi après sa fin programmée.
La question se pose donc de savoir si la réalité de ce qui a uni ces individualités diverses fut une idéologie de la subversion, une réaction aux horreurs de la guerre ; ou bien, au contraire, si leur action unanime et circonstancielle ne fut pas un des épisodes essentiels de la révolution artistique qui marque l'époque contemporaine. En ce sens, Dada aurait été l'une des entreprises de substitution d'un ordre artistique nouveau et viable à l'ordre ancien. Ce que l'on peut voir aujourd'hui de Dada et de sa succession tend à le montrer.
L'esprit dada
Le pouvoir d'un nom
La légende veut que Dada soit né le 8 février 1916 au café Terrasse à Zurich, son nom ayant été trouvé à l'aide d'un coupe-papier glissé au hasard entre les pages d'un dictionnaire. Plusieurs auteurs en ont revendiqué la paternité, alléguant des preuves qui doivent toutes être tenues pour fausses. Gardons-nous de ne pas croire aux légendes !
Si l'esprit dada existait[...]
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Écrit par
- Henri BEHAR : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, fondateur du centre de recherches sur le surréalisme (université Paris-III, C.N.R.S.)
- Catherine VASSEUR : docteur en histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Classification
Média
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