DADA
Aspects plastiques
« Dada ne signifie rien », écrivait Tristan Tzara en 1918. Durant les sept années de son existence (1916-1923), le mouvement dada fut le théâtre d'une intense activité créatrice qui, pour sembler disparate et compulsive, n'en reposa pas moins sur une semblable négation, qui se révéla le levier le plus sûr de son affirmation.
Dada, ou l'acte expérimental
Si, dans le vocable dada, la polysémie le dispute à la plus haute insignifiance, agir sous son égide n'en recouvre pas moins une démarche positive – au sens didactique du terme –, dans la mesure où, ignorant le distinguo entre le fond et la forme sur la base duquel se mesure habituellement la pertinence d'un discours ou la beauté d'un objet, elle élude la nécessité de lier l'acte à une justification, décrétant ainsi sa liberté fondamentale. De celle-ci, les dadaïstes useront à plaisir, suscitant un scandale permanent qui put assurer un temps la confusion entre « avant-garde » et provocation. Pour autant, même s'il s'inscrit dans une entreprise de démoralisation et de dévastation des valeurs de la société bourgeoise, l'iconoclasme, pas plus que « l'anti-art pour l'anti-art » cher à Tristan Tzara, ne peut résumer l'ampleur ni les conséquences d'une entreprise aussi féconde. Non seulement les créations dada témoignent d'une vitalité qui démentit toute allégeance à un dogme, mais les acteurs du mouvement « rapporte[ro]nt de leur voyage une découverte capitale, insoupçonnée de ses inventeurs eux-mêmes : c'est que le nihilisme intégral, en matière d'art ou de poésie, n'existe pas. [...] toute destruction entraîne une construction » (Michel Sanouillet).
Dada se propagea dans divers foyers de l'avant-garde intellectuelle et artistique (Zurich, Berlin, Cologne, Hanovre, Paris, New York, Barcelone, Madrid, Budapest, Tōkyō...), où il devint le ferment d'une aventure morale et spirituelle autant qu'esthétique. Cette internationalisation dénote non seulement un désir d'abolir les frontières (l'heure, ne l'oublions pas, est au nationalisme), mais aussi de repenser la place de l'homme dans le monde. À ce titre, elle s'inscrit tout entière dans une sorte de geste épique déterminée par les migrations et les rencontres, au cours de laquelle la parole, l'objet, l'événement dada, au même titre que l'existence elle-même, accompagneront l'émergence de modalités d'expression inédites et foncièrement expérimentales.
Zurich, ou la tentation de l'art total
Animé par une poignée de réfugiés – les Allemands Hugo Ball, sa compagne Emmy Hennings et Richard Huelsenbeck, l'artiste alsacien Hans Arp et sa compagne Sophie Taeuber, les Roumains Tristan Tzara et Marcel Janco –, le Cabaret Voltaire de Zurich entend devenir, dès février 1916 (deux mois avant la fondation de Dada), le « centre de „l'art le plus nouveau“ » (Huelsenbeck). La volonté de mêler les modes d'expression qui président à ce projet évoque la Gesamtkunstwerk (« l'œuvre d'art total ») défendue par Richard Wagner puis Kandinsky. Toutefois, la spontanéité ambiante est le ferment d'un désordre – pas toujours contrôlé – au centre duquel s'agitent des corps. À l'éclectisme des œuvres accrochées aux murs – signées Arp, Janco, Viking Eggeling, Otto Van Rees, Marinetti ou Picasso – répond bientôt la cacophonie verbale et visuelle de « poèmes simultanés », de danses primitives qui suivront, en juin 1916, la lecture lancinante d'un poème sans mots par un Hugo Ball engoncé dans un « costume cubiste ». « Notre cabaret est un geste », affirma Ball. À l'interface du matériel et de l'immatériel, du pensé et du fabriqué, de l'informe et du formulé, le corps s'affirme à la fois comme le creuset et le support[...]
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Écrit par
- Henri BEHAR : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, fondateur du centre de recherches sur le surréalisme (université Paris-III, C.N.R.S.)
- Catherine VASSEUR : docteur en histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Classification
Média
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