DALAÏ-LAMA TENZIN GYATSO (1935- )
L'invasion chinoise
Cet isolement du Tibet explique la très vive surprise de l'adolescent vénéré (réincarnation officielle, comme tous les dalaï-lamas, du grand bodhisattva de la compassion, Avalokiteshvara), quand en 1950, alors qu'il avait quinze ans, l'armée chinoise envahit son pays. Les communistes chinois ne cachaient pas leur intention de délivrer le Tibet de ce qu'ils appelaient une théocratie, soumise à des « oppresseurs impérialistes ». Cette « libération pacifique » fut entreprise par une armée de quatre-vingt mille hommes (l'armée tibétaine au total n'en comptait que huit mille cinq cents), au mois d'octobre.
Les premiers combats furent très durs, mais la guerre semblait perdue d'avance pour les Tibétains. Dans l'urgence, en accord avec un oracle, on décida de sacrer le jeune dalaï-lama, de lui donner officiellement le pouvoir temporel deux ans avant l'âge prévu. En pleine invasion, le jeune moine insouciant devenait soudain chef d'État, à la tête de six millions de Tibétains. Il nomma aussitôt deux Premiers ministres, un moine et un laïc, envoya des délégations à l'étranger, et même en Chine, pour qu'on intervînt en faveur du Tibet. Enfin, il se réfugia dans le sud du pays, quittant Lhassa en pleine nuit, sous un déguisement. Après un certain nombre de péripéties dangereuses, il atteignit Dromo au mois de janvier 1951.
Premières déceptions politiques : toutes ses demandes d'intervention diplomatique auprès de la Chine furent rejetées, et un gouvernement tibétain fantoche signa un accord en dix-sept points qui proclamait le retour du peuple tibétain à la grande famille de la République populaire de Chine. Devait-il renoncer au combat et chercher refuge en Inde, comme on le lui conseillait ? Abandonner son peuple ? Il choisit au contraire de rejoindre Lhassa, qui fut envahie par l'armée chinoise en octobre 1951. La situation ne tarda pas à se détériorer, et la résistance à s'organiser. Toute cohabitation semblait impossible.
Dans cette atmosphère d'inflation, de soulèvements, de propagande communiste intense, le dalaï-lama lança ses premières réformes : abolition de certaines dettes, construction de routes, refonte du système éducatif, tout en poursuivant sa formation personnelle. Au début de 1954 (il n'avait pas encore dix-neuf ans), invité par Mao Zedong, il accepta de se rendre en Chine. Ce fut un voyage difficile, au cours duquel il découvrit d'abord l'avion, dans un vieil appareil inconfortable et menaçant qui lui a laissé pour toujours une aversion pour les voyages aériens. Le panchen-lama, deuxième en dignité parmi les autorités religieuses, son cadet de trois ans, le rejoignit en Chine, et les deux jeunes gens se laissèrent aller (des images filmées le montrent) aux délices du premier train qu'ils empruntaient, train de luxe envoyé par Pékin.
Reçu par Zhou Enlai, puis par Mao Zedong lui-même, qui fit tout pour le séduire et pendant un temps y réussit, le dalaï-lama essaya de concilier les besoins fondamentaux du Tibet et les désirs insistants de la Chine. Enthousiasmé d'abord à l'idée d'une association entre les deux pays, il ne tarda pas à déchanter, pour finir par reconnaître en Mao le « destructeur du Dharma », c'est-à-dire de l'ordre légitime du monde.
Au printemps de 1955, il revint au Tibet et retrouva son peuple avec joie. Pendant quatre ans, non sans mille difficultés, il s'efforça de poursuivre son œuvre de conciliation, malgré les bombardements, les tortures, les destructions culturelles, la répression généralisée.
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Écrit par
- Jean-Claude CARRIERE : ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, auteur-scénariste
Classification
Médias
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TIBET (XIZIANG)
- Écrit par Encyclopædia Universalis , Chantal MASSONAUD , Luciano PETECH , David SNELLGROVE et Pierre TROLLIET
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...(missions du général Huang Musong et de sir Basil Gould) ; ce n'est qu'en février 1940 qu'il fut possible de proclamer formellement le quatorzième dalaï-lama, bsTan-'dzin-rgya-mtsho (Tenzin Gyatso), né en 1935. Mais peu après, le régent, que les vieux moines soupçonnaient d'être payé par la Chine et de songer...