SCHUTZ DANA (1976- )
De cruelles allégories
Peu à peu, la peinture de Schutz se complexifie. Multipliant les références à l’histoire de l’art (Jérôme Bosch, Francisco Goya, Edvard Munch, George Grosz, Max Beckmann, Pablo Picasso, Philip Guston, etc.) qu’elle subvertit avec appétit, elle imagine des mondes satiriques et cruels dans lesquels le thème de la catastrophe flirte avec des motifs issus de la culture pop (PJ Harvey, Bill Gates, les films d’horreur, la téléréalité, etc.). Aux décors verdoyants et trompeurs de Civil Planning (2004, coll. part.) ou de Men’sRetreat (2005, Dallas, Green Family Art Foundation) – formidable charge contre les mythologies masculines et entrepreneuriales – se substituent au cours des années 2010 des atmosphères désolées. L’effondrement du monde contemporain cède la place à un univers postapocalyptique. Ainsi, dans The Visible World (2018, coll. part.), une femme, digne héritière de l’Olympia d’Édouard Manet (1863), est allongée nue sur un rocher au milieu d’une mer vomissant des détritus ; un oiseau de grande taille, posé sur sa cuisse, lui offre une énorme framboise. Fixant le spectateur de ses yeux hypnotiques, elle pointe ses index vers les eaux polluées et le volatile tandis que, d’une troisième main, elle soutient sa propre tête. À lui seul, ce tableau, par son mystère, exprime l’importance pour Schutz d’une interaction féconde entre l’œuvre et le regardeur. Parallèlement à ces évolutions, la physionomie des figures change pour donner naissance à des marionnettes de chair, de plus en plus bouffonnes et monstrueuses (Mountain Group,2018, coll. part.).
Depuis le début des années 2010, de nombreuses expositions personnelles d’envergure muséale sont régulièrement organisées. En 2017, une immense polémique éclate pendant la biennale du Whitney Museum (New York), événement très suivi. Schutz y présente notamment Open Casket (2016, coll. de l’artiste). Dans cette œuvre, elle s’inspire de la photographie insoutenable d’Emmett Till dans son cercueil, garçon noir victime en 1955 d’un lynchage par deux hommes blancs. Pour Schutz, il s’agit d’évoquer la douleur de la mère de l’adolescent tout en dénonçant l’actualité du racisme aux États-Unis. Pour certains artistes et critiques d’origine africaine-américaine, il s’agit d’un cas manifeste d’appropriation culturelle qu’ils dénoncent en demandant, en vain, le retrait du tableau de l’exposition, voire sa destruction. D’autres voix, plus nuancées, regrettent le choix d’une telle iconographie tout en condamnant toute forme de censure.
En 2023-2024, une rétrospective – la première de cette ampleur en France –, au musée d’Art moderne de Paris (commissariat d’Anaël Pigeat), permet au public français de découvrir la richesse de son œuvre. Aux côtés d’une quarantaine de tableaux, des sculptures récentes (Juggler, 2019, Shanghai, De Ying Foundation ; Odalisque, 2022, coll. de l’artiste)révèlent ce pan méconnu de sa production – moyen pour l’artiste de renouveler sa réflexion sur la plasticité des formes dans l’espace.
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Écrit par
- Camille VIÉVILLE : docteure en histoire de l'art contemporain, historienne de l'art, auteure
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