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KAHNWEILER DANIEL-HENRY (1884-1979)

Lorsqu'il déclarait à Francis Crémieux : « Mon cas est très particulier et ne se reproduira pas souvent », Daniel-Henry Kahnweiler avait bien conscience que son expérience était unique dans l'histoire de la culture moderne. Non seulement parce qu'il fut un grand marchand et l'un des rares – avec Vollard et Durand-Ruel, qu'il admirait – à avoir acheté de la peinture invendable dans la certitude absolue qu'elle se vendrait, non seulement parce qu'il fut un éditeur courageux (le premier éditeur d'Apollinaire, d'Artaud, de Leiris, de Max Jacob et de tant d'autres), non seulement encore parce qu'il fut un homme de goût, le soutien financier d'une certaine modernité, mais parce qu'il fut très tôt un militant, un avocat qui prétendait faire sur le vif la théorie de ce qu'il vendait ou voulait vendre.

28, rue Vignon

Daniel-Henry Kahnweiler a toujours conçu son rôle de marchand de manière partisane et propédeutique ; la confiance inaltérable qu'il a en son propre jugement (les doutes sont, chez lui, très rares et tardifs, et toujours liés au sentiment de vieillesse) est celle d'un homme des Lumières : adolescent, il voulait être chef d'orchestre, c'est-à-dire intermédiaire, mais aussi organisateur. La même envie, dit-il, l'a poussé à se faire marchand de tableaux.

Qu'était donc la culture du jeune Kahnweiler, né en 1884 à Mannheim en Allemagne, fils de bourgeois aisé, lorsqu'en 1907, à l'âge de vingt-trois ans, il ouvre à Paris sa première galerie, au 28 de la rue Vignon, avec vingt-cinq mille francs en poche et un an pour réussir, le tout généreusement offert par sa famille – sa galerie, c'est-à-dire la première galerie au monde à prendre un parti quasi exclusif en faveur du cubisme alors à peine naissant ? Sa formation de « financier » allait sans doute l'aider à surmonter les périodes de crises comme les sept ans de « vaches maigres » qui précédèrent le Front populaire – mais c'était précisément pour y échapper qu'il vint à Paris après un séjour forcé à Londres comme secrétaire d'un homme d'affaires de sa famille. De quoi disposait-il donc ? D'une grande culture musicale (qui n'a sans doute pas été étrangère à l'avancée de son goût en matière picturale), d'un vif intérêt pour la littérature et surtout d'une connaissance toute personnelle de la peinture, fondée sur les visites assidues de tous les musées européens (du Louvre et de la National Gallery en particulier), sur la découverte intriguée du legs Caillebotte lors de son premier séjour à Paris, la prise de contact toute récente avec les Salons où s'exposait « la peinture vivante d'alors », sans oublier ses rencontres avec Vlaminck, Derain et Van Dongen.

« Découvreur » des peintures cubistes de Picasso et Braque, il leur assure une large et intelligente diffusion ; une première exposition Braque en novembre 1908 (dont le catalogue est préfacé par Apollinaire), suivie en 1910 de celle de Fernand Léger, puis Juan Gris. Pour Picasso, notamment, les achats du mécène moscovite Chtchoukine ou la première exposition à la galerie Thannhauser de Munich en 1912 ont largement contribué à faire connaître le cubisme.

Parallèlement, Kahnweiler poursuit un travail d'édition : la publication du premier livre d'Apollinaire (L'Enchanteur pourrissant, 1909) sera suivie par celle d'ouvrages de Max Jacob, Malraux, Artaud, Salacrou, Limbour, Leiris, mais aussi Satie, Reverdy, Bataille, Desnos, Radiguet ou Ponge, illustrés par des gravures commandées aux artistes de sa galerie (Derain, Braque, Picasso, Gris, Léger, Masson, Laurens, Beaudin).

La spécificité de l'aventure de Kahnweiler vient sans doute de son ingénuité initiale : Vollard disait de lui avec malice – mais avec quelque[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard

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