Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

KAHNWEILER DANIEL-HENRY (1884-1979)

Défense et illustration du cubisme

Certes, il faut attendre la rupture de la guerre et de l'exil en Suisse de Kahnweiler, entre 1914 et 1920, pour qu'il couche par écrit son plaidoyer en faveur du cubisme et rédige ses invectives contre l'histoire de l'art ou la sculpture occidentale. Kahnweiler n'aura pratiquement écrit qu'en temps de guerre, sans se laisser abattre par les avanies du sort (la saisie de ses biens après la Première Guerre mondiale, l'arrêt brusque de ses activités de marchand pendant la Seconde : il n'était pas facile d'être juif et allemand lors de ces deux conflits). Nous disposons donc de deux ensembles de textes : le premier, publié de 1916 à 1920, tente de concilier une analyse formelle, voire formaliste, de l'œuvre d'art (discours logique du connaisseur qu'il était déjà) avec la philosophie allemande et l'histoire de l'art qu'il venait de découvrir. Le second, écrit pour une grande part sous l'Occupation, comprend une monographie sur Juan Gris (Juan Gris, sa vie, son œuvre, ses écrits, 1946) et un certain nombre d'essais sur Picasso, Seurat, Klee ou Mallarmé. Tous ces textes (à l'exception du livre sur Juan Gris) sont repris dans Confessions esthétiques, (1963).

Dans La Montée du cubisme, écrit en 1914-1915, un certain nombre de questions encore très problématiques sont tranchées avec vigueur, ce qui conduit Kahnweiler à quelques inexactitudes : par exemple, il sous-estime l'importance de la couleur chez Cézanne, ce qui lui permet de dire que seul Picasso (contre Braque et même Matisse) l'avait bien comprise ; la thèse selon laquelle Les Demoiselles d'Avignon sont un tableau inachevé constitue une autre de ces affirmations subjectives ; enfin l'interprétation de l'espace cubiste comme saillie, projection vers le spectateur est sans aucun doute sujette à caution. Cependant, Kahnweiler a été le premier à voir l'importance du clou en trompe l'œil que peint Braque dans Violon et cruche de l'hiver 1909-1910 (« À partir de ce moment, on voit toujours apparaître dans les toiles des deux artistes un fond qui limite le champ visuel », Confessions esthétiques). Il a également senti combien « l'éclatement de la forme » dans les toiles dites « synthétiques » que Picasso réalise dans l'été de 1910 constitue une rupture ; montré comment ce « rapiècement » de l'espace permet aux artistes de renoncer au clair-obscur, de réutiliser la couleur locale comme « qualification » des surfaces picturales, de s'intéresser à l'espace « réel » et d'inventer le papier collé. Kahnweiler a été le premier encore à formuler une théorie de ce que l'on nomme le cubisme synthétique : les parcelles de « réalité » (fragments d'objets réels ou en trompe l'œil) introduites dans les tableaux cubistes sont des stimulants pour la mémoire qui « fusionnent dans la conscience du spectateur » pour former l'objet du tableau. Théorie tout idéaliste et sans doute moins intéressante que les analyses formelles dont elle procède ; Kahnweiler émet d'ailleurs une théorie très fantaisiste des « catégories visuelles », une sorte de pastiche de Kant, qui fait du cubisme le grand révélateur des formes « primaires » – géométriques – que la nature voile à nos yeux (Confessions esthétiques).

Le second grand texte de Kahnweiler, L'Essence de la sculpture, est encore plus formaliste : il s'agit d'une entreprise de délimitation du domaine sculptural. Kahnweiler y condamne, en effet, toute la sculpture occidentale (chrétienne), comme son contemporain Carl Einstein et contre Adolf Hildebrandt, parce que celle-ci est frontale et que, prenant appui sur le mur ou placée dans une niche, elle fonctionne comme un bas-relief, c'est-à-dire comme une peinture[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard

Classification

Autres références

  • CUBISME

    • Écrit par et
    • 8 450 mots
    ...Apollinaire – au rôle des différents tempéraments artistiques sur lequel Raynal, se souvenant de la définition de l'art que donnait Zola, mit l'accent. La dernière contribution notable à la théorie cubiste semble être Der Weg zum Kubismus, c'est-à-dire « le chemin du cubisme », de Kahnweiler, paru...
  • EINSTEIN CARL (1885-1940)

    • Écrit par
    • 3 041 mots
    ...cubistes au même moment, de modifier les règles établies, de transformer la vision et la sensation de l'espace, de rendre la sensation complexe du temps. D.-H. Kahnweiler, avec lequel C. Einstein se lie bientôt d'une amitié durable et féconde, ne s'y est point trompé, qui qualifiait Carl Einstein d'écrivain...
  • ENCADREMENT DES ŒUVRES, histoire de l'art occidental

    • Écrit par
    • 2 362 mots
    ...carnets de croquis pour les années 1894-1895, trace des projets d'encadrements à motifs floraux. Le cadre est désormais d'abord affaire de peintres. Daniel-Henry Kahnweiler récupère des cadres anciens pour photographier, pour ses archives, les toiles des cubistes qu'il vend sans cadres à des collectionneurs...
  • EXPRESSIONNISME

    • Écrit par , et
    • 12 621 mots
    • 10 médias
    En 1919, le marchand de tableauxDaniel-Henry Kahnweiler s'en prend dans la revue Das Kunstblatt, sous le pseudonyme de Daniel Henry, à l'idée de plus en plus répandue en Allemagne que l'expressionnisme, alors prétexte à d'innombrables articles dans la presse allemande, serait d'origine française....
  • Afficher les 9 références