ROCHE DANIEL (1935-2023)
Si l'école historique française s'est imposée au-delà des frontières, c'est par la nouvelle compréhension du passé qu'ont permise l'approche quantitative de la réalité économique et sociale et les problématiques de l'histoire des sensibilités et des mentalités. Daniel Roche fut un des acteurs de ce changement. Né le 26 juillet 1935 à Paris, il est un des représentants de la « méritocratie » républicaine à la française : élève de l'École normale supérieure, il passe l'agrégation d'histoire et de géographie, enseigne deux ans à Châlons-en Champagne avant de faire carrière au CNRS et à l'Université. Docteur d'État en 1973, il devient professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne et accumule les charges et fonctions universitaires ou scientifiques. Directeur de la Revue d'histoire moderne et contemporaine, il occupe durant quatre ans la chaire d'histoire de la culture européenne à l'Institut universitaire européen de Florence (1985-1989), reçoit le grand prix national d'histoire en 1992, avant d’occuper, de 1998 à 2005, la chaire « Histoire de la France des Lumières » au Collège de France.
L'ensemble de son œuvre scientifique approfondit un double questionnement sur la nature du mouvement des Lumières et sur les méthodes d'une anthropologie culturelle qui sache concilier les chiffres et les idées, l'enquête quantifiée et les hypothèses qualitatives. De sa thèse sur les académies de province à son essai sur l'histoire du vêtement, Daniel Roche relativise le phénomène parisien et parfois radical des Lumières sur lequel s'est focalisée l'attention des chercheurs et qui a longtemps monopolisé la réflexion sur le lien entre philosophie et révolution. Il sait élargir la perspective en prenant en compte les réalités de la province, du peuple et de la vie féminine.
Le Siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789 (1978) commence par décrire les trente-deux académies qui sont créées à travers le royaume sur le modèle des académies parisiennes, qui regroupent quelque six mille académiciens et sont l'occasion de plus de vingt mille exposés ou communications répertoriés. La première moitié du xviiie siècle voit se multiplier les fondations, encouragées par les autorités locales, tandis que la seconde moitié consacre la volonté académique d'intervenir dans la vie publique, parallèlement aux sociétés savantes et aux loges maçonniques. Ces académies provinciales associent homogénéité culturelle et hétérogénéité sociale, sens de la tradition et réforme rationaliste. C'est dire qu'elles jouent un rôle décisif dans la transformation de la société, dans la diffusion ou la banalisation des idées des Lumières. On ne peut les rapporter à une idéologie ni aristocratique ni bourgeoise. À l'image de l'État absolutiste qui associe féodalité et modernisation, elles peuvent se réclamer de la tradition et du progrès.
Le Peuple de Paris. Essai sur la culture populaire au XVIIIe siècle (1981) déborde également les élites éclairées et les principes philosophiques par l'exploration des couches moins favorisées et par la construction d'une anthropologie du sensible. Le peuple parisien est décrit dans sa géographie urbaine, dans ses habitudes de travail et de consommation, dans ses gestes quotidiens et son rapport au temps ou à l'argent, dans son savoir et sa culture. L'enquête cherche son information dans les archives aussi bien que dans les gravures et les textes littéraires. Elle récuse l'image d'une simple aliénation ou passivité de cette population bruyante, remuante et inventive, aussi bien que celle d'une progressive prise de conscience qui culminerait avec 1789. Les gestes et les croyances du peuple parisien apparaissent[...]
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Écrit par
- Michel DELON : professeur de littérature française à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Média