DEL GIUDICE DANIELE (1949-2021)
Né à Rome le 11 juillet 1949, ingénieur de formation, Daniele Del Giudice a vécu à Venise et à Milan, où il a collaboré à diverses revues en tant que critique littéraire. Son premier roman, Lo Stadio di Wimbledon (Le Stade de Wimbledon, 1983), préfacé par Italo Calvino, révèle un auteur singulier, dont le style joue sur la mobilité de la perception. S'interrogeant sur le refus de l'écriture, le jeune narrateur de ce récit se lance sur les traces d'un personnage original de la scène littéraire italienne, Roberto Bazlen (1902-1965). De Trieste au quartier londonien de Wimbledon, la présence de cet homme mystérieux, ami de poètes et d'écrivains tels que Montale ou Sergio Solmi, mais qui n'a laissé aucune œuvre, affleure à travers le souvenir de ceux qui l'ont connu. L'évocation de Bobi Bazlen, de la rencontre avec Gerti et Lyuba, inspiratrices du Montale des Occasions, structure une réflexion sur la tension opposant la littérature à l'action concrète et immédiate sur le réel.
Ce questionnement se poursuit dans son second roman, Atlante occidentale (Atlas occidental, 1985), en s'étendant cette fois au projet abstrait dans son ensemble, qu'il soit littéraire ou scientifique. Le récit, situé à Genève, met face à face un jeune physicien, au nom emblématique de Brahé, qui cherche à capturer de nouvelles particules subatomiques, et un ancien écrivain qui a décidé de ne plus écrire pour se consacrer au pilotage des avions. Les analyses du chercheur, dans son grand laboratoire souterrain, et l'évasion du vieil homme par le vol en plein ciel, semblent paradoxalement illustrer une même exploration de la connaissance et des émotions en quête d'un juste équilibre.
L'évocation de sentiments contradictoires, saisis dans leur fragilité, marque encore davantage le volume suivant, NelMuseo di Reims (Dans le musée de Reims, 1988). Mais c'est dans son quatrième roman, Staccando l'ombra da terra (Quand l’ombre se détache du sol, 1994), que l'auteur donne à la représentation de la mutabilité des émotions sa pleine dimension. Ce récit reprend l'image du vol aérien en tant qu'allégorie structurante de l'aventure et de la précarité de l'équilibre entre sensations instinctives, illusoires et parfois dangereuses, et manœuvres raisonnées. Expériences et souvenirs aventureux y ont pour ultime témoin l'avion : les périls de son décollage, son vol au-dessus des misères et, surtout, des limites de l'univers, sont également métaphoriques.
Le ton incisif des six récits brefs qui composent le recueil Mania (L'Oreille absolue, 1997) constitue un net contraste avec les œuvres précédentes. Entre réalité charnelle et univers virtuel, ils analysent l'obsession, souvent meurtrière, qui anime des personnages insaisissables affrontant des situations extrêmes. Divers titres, tels que « L'Oreille absolue », « Fugue » et « Evil live », se réfèrent au champ musical, qui contamine également l'écriture. La sensualité exacerbée et l'intensité émotionnelle des actions relatées, course éperdue ou combat acharné, reflètent un nouvel aspect de la vitalité créatrice de l'auteur, qui publie par la suite Orrizonte mobile (2009, Horizon mobile) et In questaluce (2013).
Recourant à un langage raffiné et mesuré, d'une grande richesse métaphorique et allégorique, Daniele Del Giudice semble retracer la quête d'une vérité essentielle, qui unirait les formes pragmatiques et artistiques d'appropriation de l'univers, pour en confirmer l'égale pertinence. Souvent associé à d'autres contemporains tels que Tabucchi, Daniele Del Giudice paraît en effet rechercher « une nouvelle approche de la représentation », où la référence au réel s'effectuerait, selon les termes de Calvino, « par un nouveau système de coordonnées ». Un projet présent dès [...]
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Écrit par
- Carina MEYER-BOSCHI : DEA de littérature italienne contemporaine à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média