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KIŠ DANILO (1935-1989)

Écrivain d'origine yougoslave de langue serbo-croate, fils d'un père hongrois et juif, et d'une mère monténégrine et orthodoxe, Danilo Kiš est né le 22 février 1935 à Subotica, au cœur de cette Pannonie aujourd'hui divisée entre la Hongrie et la Voïvodine. De ses deux langues, de ses deux religions, de son pays déchiré peu après sa naissance par l'agression des Magyars et des nazis, Danilo Kiš va nourrir un talent altier et ouvert. Dans la Yougoslavie des années 1950, malgré la rupture avec Staline, un régime dur, à visée totalitaire, subsiste, auquel certains s'opposeront. Danilo Kiš choisira pour ce faire la dérision poétique, prônant la liberté de création et ridiculisant le réalisme socialiste en infléchissant son poème satirique La Mansarde (1962) vers la prise en compte — dans une sorte de miroir brisé — du Ciel et de la Terre, de la lyre et du labeur, du rêve et du réel. Son chef-d'œuvre en la matière est sans doute Sablier (1971), précédé de Chagrins précoces (1969) et de Jardin-cendre (1965), trilogie familiale qu'il intitula lui-même Le Cirque de famille. Dans une sorte de « montée aux Enfers » semblable à un envol, dira-t-il, l'auteur passe du récit autobiographique au roman kaléidoscopique dont la voix juvénile s'efface peu à peu devant la méditation et la recherche esthétique, qui trouve toute son ampleur dans Sablier. Ici, le père, Edouard Sam, devient E.S., symbole anonyme de toutes les victimes d'un massacre, qui, avec la Seconde Guerre mondiale, se chiffrera par millions. En une sorte de dédoublement, il passe à côté de la mort sans la voir de son regard d'homme, et pourtant la saisit dans toute la clarté de sa pensée. Alors qu'il égrène la longue litanie des victimes qui tombent autour de lui, il ne sait pas moins, grâce à la lucidité que lui donne la folie, qu'il marche vers la fin, non pas seulement la sienne, mais celle que promet l'Apocalypse. Un tombeau pour Boris Davidovitch (1976) reprendra, de façon plus simple, sous forme de nouvelles aux héros bien définis, le même anonymat jouant de noms changeants, et dirigé cette fois contre l'imposture meurtrière des dictatures. En comparaison des œuvres précédentes, l'Encyclopédie des morts (1983) semble un havre de paix, où se donne libre cours la fantaisie, la gravité, l'ironie, l'humour, la tendresse, la volonté démystificatrice de Danilo Kiš face à l'amour et à la mort.

Tous les livres de Danilo Kiš se caractérisent, par le jeu des ruptures : les fragments, les chapitres, les nouvelles qui les constituent dessinent une convergence problématique, dans la mesure où l'écrivain ne s'installe jamais dans une situation pour en devenir le maître. Ainsi voit-on son œuvre se déployer hors de la ligne classique du temps et de l'espace : l'histoire et la géographie y jouent un rôle prépondérant, mais voilé dans leurs références, puisqu'elles prolifèrent en facettes qui projettent chacune leur sens pour produire un nouveau sens toujours soumis à la vision qu'elle entend proposer.

— Laurand KOVACS

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Écrit par

  • : diplômé de l'École nationale des langues orientales vivantes, diplômé de civilisation russe et soviétique, directeur adjoint du Centre d'études balkaniques

Classification

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