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DANS LA CHALEUR VACANTE, André du Bouchet Fiche de lecture

La langue déployée

Dès les premières pages, l'espace blanc où se déploie la typographie opère comme une contre-lecture à la mesure du déchiffrement versifié, la parole poétique prenant appui sur une extrême simplicité dont l'ellipse ou la réserve (au sens pictural ou graphique) inscrivent moins des assertions coordonnées que l'expérience d'une incohérence essentielle, ce qu'illustre bien tel passage de Du bord de la faux, le poème liminaire :

Les nuées volant bas, au ras de la route,/ illuminant le papier./ Je ne parle pas avant ce ciel,/ la déchirure,/ comme une maison rendue au souffle.

On soulignera, dans ce refus de l'expansion et de l'articulation, quelques reconnaissances à des poètes plus ou moins désignés : Mallarmé, Hölderlin, Baudelaire, Reverdy surtout, dont les flaques de verre, les lucarnes et les clivages inscrivent pour du Bouchet un horizon premier : « c'est bien la réalité intarissable que Reverdy, comme nul autre, aura su localiser – „si loin“, mais en la tenant à tout instant pour imminente. Et il aura mis à nu son avènement », écrit-il cette même année 1961 dans un texte d'hommage. Mais ce qui se forge dans ces pages a marqué ses lecteurs par le double régime du langage poétique, dont les conséquences sont telles qu'on ne sait à quoi donner la primauté, entre une langue concise, simplifiée (Je sors/dans la chambre// comme si j'étais dehors// parmi des meubles/immobiles// dans la chaleur qui tremble), qui se défie des métaphores comme des configurations rhétoriques, et une expérience du monde et du temps extrêmement marquante dès la première lecture, comme saturée par le souffle et la lumière, à mi-distance de « l'arbre ancré dans la terre aux ongles cassés » et de « l'instant où le feu communiqué à l'air s'efface, où la blancheur du jour gagne, sans soleil ». Ni peintre ni penseur mais infiniment proche de la peinture comme de la pensée, André du Bouchet offre d'abord à la langue un espace, où se déployer dans le vide et sur le vide. Ainsi, Dans la chaleur vacante peut être lu comme l'expérience au premier chef d'une énergétique dont Philippe Jaccottet soulignait dès 1957 la puissance de « crise » et Gilles Quinsat, trente ans plus tard, la force de consumation.

— Pierre VILAR

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Pau et des pays de l'Adour, faculté de Bayonne

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