Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

DANS LA FOULE (L. Mauvignier) Fiche de lecture

C'est avec Loin d'eux – un roman sur l'incommunicabilité, le non-dit et ses cicatrices, publié aux éditions de Minuit – que Laurent Mauvignier est entré en littérature en 1999. L'année suivante, Apprendre à finir est à son tour salué par la critique, qui l'inscrit dans une mouvance qui, depuis les années 1950, se veut dans la filiation de William Faulkner et Nathalie Sarraute, entre autres. Laurent Mauvignier donne la prééminence à la forme ; il se situe plutôt du côté des « dynamiteurs » de la narration que des écrivains de l'imaginaire.

L'écrivain est né à Tours en 1967. Il écrit depuis l'enfance, enchaîne les romans : « aussitôt finis, aussitôt relus, aussitôt jetés. Je n'ai rien gardé, je n'ai pas de regrets », a-t-il confié à Jean-Baptiste Harang (Libération, 21 septembre 2000). Il a toujours craint de s'engager dans la voie littéraire, a tourné longtemps autour du problème, avant de sauter le pas. Et son entrée dans le monde littéraire a été plutôt réussie, lui permettant de trouver son public presque immédiatement. Trente ans après les remises en cause formelles du Nouveau Roman, l'univers de Mauvignier allait de soi, beau certes, mais gagnant en consensus ce qu'il perdait en force de rupture. Il reçut le prix du Livre Inter pour Apprendre à finir,qui connut un tirage exceptionnel de 100 000 exemplaires.

Les premières interventions de Laurent Mauvignier sont souvent empreintes de ce discours sur l'écriture qui a marqué la seconde moitié du xxe siècle. On y retrouve ce qu'on pourrait caractériser comme une attitude postflaubertienne face à la littérature, avec pour corrélats une peur du réel, et la recherche d'une littérature pure. Pour son sixième livre, Dans la foule (Minuit, 2006), il a rompu avec cet univers replié sur lui-même pour s'ouvrir au réel et à l'histoire. Tout son roman est construit en trois temps sur un événement qui appartient à la mémoire collective : à savoir « cette chose qui est arrivée, cette chose que l'Europe entière a vue en croyant ne pas la voir ». Ce que les journaux ont baptisé au lendemain du 29 mai 1985 « le drame du Heysel », des centaines de millions de téléspectateurs y ont assisté en direct. Quant aux témoins sur place, ils en garderont toute leur vie le traumatisme. Au cours de la finale de la Coupe d'Europe des clubs champions entre les Reds de Liverpool et la Juventus de Turin, à Bruxelles, la barbarie est entrée dans le monde du football. Les stades avaient déjà connu le fascisme, accueilli le spectre de la déportation et de la Shoah – pensons à W ou le Souvenir d'enfance de Georges Perec, à l'Allemagne et au Chili. Ici, en guise de « match du siècle » on découvrit l'horreur : des hooligans tentèrent de prendre d'assaut la tribune Z où se trouvaient les spectateurs italiens. On connaît la suite : trente-neuf morts et de nombreux blessés, écrasés par le béton, piétinés par la foule, les bagarres entre tifosi et Anglais, l'incompétence des autorités. Comble du cynisme : le match fut quand même joué.

Dans la foule raconte ce drame en partant de personnages venus des quatre coins de l'Europe, participer à une fête du football et soutenir leurs équipes. Deux Français, Jeff et Tonino, un jeune couple italien en voyage de noces à Bruxelles, Tana et Francesco, l'Anglais Geoff Anderson et ses frères, deux Belges, Gabriel et Virginie. C'est d'abord le temps des copains, le moment carnavalesque des avant-matchs largement arrosés de bière, sur fond de fanfaronnades multicolores et de klaxons. Puis la charge animale des hooligans, la mort de Francesco, l'horrible à l'état pur, la peur panique : « Je ne veux pas entendre les cris, mais devant nous, il y a trop de monde, ça n'avance plus, ça ne bouge plus, ils se sont arrêtés et[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification