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DANSE DE MORT (A. Strindberg)

En signant la mise en scène de Danse de mort (1900), Matthias Langhoff a fait en avril 1996 son entrée à la Comédie-Française, inscrivant du même coup la pièce d'August Strindberg au répertoire de la Maison de Molière. Double irruption, donc, fracassante et spectaculaire, placée à plus d'un titre sous le signe de la destruction. Et puisqu'il est question de subvertir, c'est l'esprit même de Strindberg qui est invoqué, tandis que résonne en voix off la profession de foi révolutionnaire contenue dans la Préface de Mademoiselle Julie, qui diagnostiquait la crise de l'art dramatique et appelait de ses vœux des formes nouvelles. Comme si, de concert, l'auteur et le metteur en scène s'étaient décidés à faire souffler sur l'institution un vent dévastateur.

C'est ainsi que, avec l'aide de la scénographe Catherine Rankl, Matthias Langhoff s'est d'abord attaché à dépouiller la prestigieuse salle Richelieu, dévoilant son squelette, laissant apparaître ses murs, y installant une cage de scène ceinte d'un néon bleu de music-hall. Nettoyé de la sorte, l'espace est libre pour qu'y prenne place l'encombrant fatras d'objets destiné par Strindberg à peupler l'intérieur où se joue le drame. Ici encore s'affiche la fidélité presque excessive de Langhoff à l'égard du dramaturge suédois : avant d'entendre le texte, on entendra la description maniaque des éléments du décor. Une voix lit la longue didascalie inaugurale, et force est de constater que sur scène les indications ont été suivies à la lettre. Rien ne manque, du piano à droite, du bureau à gauche, des portraits photographiques, du télégraphe, des couronnes de laurier ni du casque avec plumet de l'artilleur en faction. Tant d'exactitude, tant de respect dans le souci du détail relèvent à coup sûr d'une immense ironie, et dès lors ce long inventaire hétéroclite qui ouvre la représentation fait figure d'avertissement. À l'intérieur de cette forteresse, il faudra compter avec un trop-plein d'objets, un environnement matériel proliférant et hostile.

L'argument de Danse de mort n'est pas sans rappeler celui d'une pièce antérieure de Strindberg, Père. Le capitaine Edgar et sa femme Alice, une ancienne comédienne, vivent à l'écart du monde dans la forteresse d'une île de garnison. Ils se vouent l'un à l'autre depuis près de vingt-cinq ans une haine tenace, mais le conflit qu'ils se livrent quotidiennement semble s'être stabilisé, les forces ayant appris à se neutraliser. Tandis qu'approchent leurs noces d'argent, néanmoins, le retour de Kurt, cousin d'Alice et vieil ami du couple, précipite le déchaînement des antagonismes.

Rien à voir pourtant avec un huis clos intimiste. En l'occurrence, et Langhoff l'a clairement perçu, les deux termes chez Strindberg sont presque antinomiques. Bien plus, c'est l'idée de couple qui exclut l'intime. C'est peut-être là un des sens du préambule (cette fois assumé par le seul metteur en scène) montrant les comédiens (Muriel Mayette et Jean Dautremay) en train de se maquiller, avant d'entrer en scène, dans des loges apparentes placées de part et d'autre du plateau. On sait l'habitude qu'ont les acteurs d'orner ces loges de photographies et autres souvenirs personnels, afin d'y recréer un univers familier. Ici, les protagonistes n'y dérogent pas, si bien que les antres où ils se préparent apparaissent véritablement comme leur sphère intime, jamais partagée, et que le plateau, où se situe l'intérieur conjugal, devient par opposition un lieu antifamilier et privé d'intimité, bientôt un champ de bataille.

Dans son Art de la guerre (500 av. J.-C.), le philosophe chinois Sun Zu écrit : « L'art suprême de[...]

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Écrit par

  • : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre

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