DANSE
La danse théâtrale
Lorsque la danse se présente sous la forme du ballet et qu'elle devient un spectacle en Europe, la plastique prend une place considérable qui l'éloigne de ses origines magiques et religieuses. La définition qu'en donne Théophile Gautier ressortit à l'esthétique du spectateur : « La danse est l'art de montrer les formes élégantes et correctes dans diverses positions favorables au développement des lignes. » On est alors bien loin de la parole gnostique : « Celui qui ne danse pas ne sait pas ce qui se passe. » C'est pourtant en se référant à ses origines que les chorégraphes et les critiques les plus exigeants voudront rendre évident le sérieux d'un art si souvent considéré comme frivole.
La danse ne figure pas dans la monumentale Esthétique de Hegel, qui est aussi une histoire du monde. Pourtant, en 1810 l'écrivain allemand Henrich von Kleist, dans une courte nouvelle sur le théâtre de marionnettes, a paradoxalement formulé une idée intéressante : un danseur a l'habitude d'assister aux spectacles de marionnettes qui, prétend-il, lui apprennent mieux que toute autre chose comment les seules lois de la pesanteur articulent infailliblement la poupée que l'animateur tient au bout de ses fils. En revanche, le jeune homme qui répète volontairement le geste naturel par lequel il rattache sa sandale se rend ridicule et franchement comique dans son effort vain pour reproduire le même mouvement. La conscience a fait perdre à l'homme l'innocence du paradis. Lorsque le danseur Vaslav Nijinski répète : « La grâce est un don de Dieu », les sens esthétique et théologique du mot s'entrecroisent.
Ainsi s'explique le malaise que nous éprouvons en présence d' automates qui imitent et caricaturent l'action d'êtres vivants et conscients – qui à leur tour, conditionnés par l'impeccable technique de la danse académique, peuvent faire penser à d'artificielles mécaniques. De Coppelia à Petrouchka, le ballet n'a pas manqué de jouer sur cette équivoque. L'homme entouré de machines, dans l'usine du Pas d'acier de Serge Prokofiev, est lui-même l'objet du Ballet mécanique que composa l'Américain George Antheil pour le film de Fernand Léger. Un gigantesque Gulliver-robot tire les fils des personnages lilliputiens d'une humanité naissante dans le ballet Schema d'un chorégraphe américain familier des marionnettes, Alwin Nikolaïs.
L'histoire du ballet est une suite de contradictions, issues du paradoxe de Kleist. L'opéra-ballet ne fait pas oublier les belles manières du ballet de cour. Ces spectacles somptueux et féeriques font à la danse une place qu'elle n'occupe jamais seule. Elle accompagne et illustre un récit héroïque, légendaire ou mythologique dont la musique, le chant et parfois la parole sont partie intégrante. Quand Jean-Georges Noverre écrit ses fameuses Lettres, les principes de la danse classique sont définitivement codifiés. La question, pour lui, est de savoir si un tel vocabulaire, réglé et restreint, suffit pour intéresser les spectateurs à un développement dramatique, avec ou sans le recours à la mimique. Le « Shakespeare de la danse » hésite et se contente de faire confiance à la Nature et à la Raison.
Ce problème semble résolu lorsque au xixe siècle s'impose le ballet romantique. Le costume s'adapte aux mouvements de plus en plus difficiles et audacieux, jusqu'à créer un monde irréel, où les chaussons et le tutu, sur le maillot de rigueur, deviennent les symboles d'un art dont la perfection ne paraît plus pouvoir être surpassée.
À ce moment, la danse est essentiellement féminine. Est-ce en pensant à Carlotte Zambelli sur pointes, à Isadora Duncan en tunique et pieds nus, ou à la Loïe Fuller dans ses voiles de lumière, que Stéphane[...]
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Écrit par
- Marie-Françoise CHRISTOUT : docteur d'État ès lettres, conservateur honoraire à la Bibliothèque nationale de France, écrivain et critique
- Serge JOUHET : professeur de philosophie, producteur d'émissions culturelles à l'O.R.T.F.
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