DANTE ALIGHIERI (1265-1321)
À chaque célébration du poète, la question se pose de l'actualité véritable de Dante, de ce que son œuvre signifie pour les lecteurs de notre temps, de ce qu'elle leur propose et leur promet. Ce n'est pas affaire de distance chronologique : Dante a été beaucoup plus en faveur au xixe siècle qu'au cours des trois siècles précédents. La première « actualisation » critique de la Comédie s'est faite dans le climat platonicien de la Florence du Quattrocento, la seconde dans le climat romantique de l'Europe libérale.
On hésite à affirmer, avec T. S. Eliot, que La Divine Comédie est le plus promptement offert de tous les grands poèmes, celui où il est le plus aisé d'entrer de prime abord. Mais disons que l'effort initial du lecteur, secondé dans la plupart des éditions par les notes indispensables, n'est pas plus considérable que pour d'autres grandes œuvres. On a tôt fait de découvrir que le grand poème de Dante n'est pas seulement un édifice « médiéval », une cathédrale imposante et dûment « classée » : c'est un poème de l'imminence au regard du destin du monde, des chances de l'homme dans cette vie, et non seulement dans une autre, des anxiétés aussi que fait peser sur la conscience collective l'appréhension d'une « fin des temps ».
« La Vie nouvelle »
Entre guelfes et gibelins
Lorsque Dante y naquit, dans la seconde quinzaine du mois de mai 1265, Florence était en voie de devenir la plus puissante cité de l'Italie centrale et l'une des plus considérables de l'Occident chrétien. Dès 1250, un gouvernement communal, imposé par les forces associées de la bourgeoisie et de l'artisanat, avait mis fin à la suprématie des maisons nobles. Deux ans plus tard étaient frappés les premiers florins d'or, qui allaient devenir bientôt, et pour trois siècles, les « dollars » de l'Europe marchande. Les conflits entre les guelfes, acquis à l'autorité temporelle des papes, et les gibelins, défenseurs de la primauté politique des empereurs, tournaient de plus en plus à l'affrontement entre les bourgeois et les nobles ou aux guerres de prépondérance entre cités voisines et rivales. Dante vécut dans ce climat de luttes sociales et de guerres régionales, où l'empire et la papauté constituaient des pôles d'engagement ou des prétextes d'alliance plus que des causes embrassées pour elles-mêmes. Quand il naquit, sa ville était depuis cinq ans aux mains des gibelins, qui en avaient chassé les guelfes ; en 1266, Florence repassait aux mains de ces derniers, et les gibelins en étaient expulsés à leur tour, perdant à jamais la partie. Les guelfes allaient se diviser un peu plus tard en Noirs et Blancs, et c'est comme Blanc que Dante devait être un jour proscrit, lui aussi à jamais.
Sous le signe de l'amour
Issu d'une famille noble mais sans fortune, orphelin de mère à treize ans, orphelin de père dans les cinq années qui suivirent, sa première jeunesse ne peut être entrevue qu'à travers de très rares documents d'archives et la narration romancée de la Vita nova. Il y a tout lieu de penser que ce « petit livre », comme Dante l'appelle lui-même, de La Vie nouvelle a été composé entre 1291 et 1293 ; il comprend 31 poésies (25 sonnets, 1 ballade et 5 chansons), écrites à partir de 1283 si l'on en croit un passage de la prose, tout ensemble explicative et narrative, qui forme autour des poèmes comme un tissu conjonctif. La « Vie nouvelle », c'est la jeunesse de Dante illuminée par son amour pour Béatrice, la révélation primordiale que cet amour lui apporte au début de son existence. Il n'a pas neuf ans lorsqu'il s'éprend de celle qu'il aimera pour l'éternité et qui est alors une enfant de huit ans. Mais ce ne sera pas un amour sans troubles, sans alarmes, ni sans tentations adverses.[...]
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Écrit par
- Paul RENUCCI : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
Classification
Médias
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