DANTE ALIGHIERI (1265-1321)
Les consolations du savoir, et d'autres
Où cesse le témoignage de la Vita nova commence celui, encore moins documentaire, des Rime, c'est-à-dire de la somme, variable suivant les éditeurs, des poésies éparses qu'on peut attribuer à Dante (54 certaines, de 20 à 27 d'attribution douteuse). C'est dans une part de ce « corpus » qu'on cherche volontiers les traces de l'« égarement » avoué plus tard au début de l'Enfer et à la fin du Purgatoire : un égarement qui aurait entraîné Dante aussi bien vers de « fausses » conceptions philosophiques que vers les sollicitations de l'amour charnel et des plaisirs vulgaires.
Le plus assuré est qu'entre la mort de Béatrice et les premières années de l'exil Dante s'adonna intensément à l'étude de la « philosophie », terme qui désigne sous sa plume l'ensemble de la science profane ; qu'il composa des poésies d'amour d'où le style de la « louange » est bien absent, et le souvenir de Béatrice plus encore ; qu'il échangea des vers de nature diverse avec plusieurs poètes de son temps ; enfin qu'il se mêla activement, à partir de 1295 au moins, à la vie politique de sa cité.
Parmi les pièces lyriques qui semblent appartenir à cette période, les « poésies de la pierre » (rime petrose) méritent une mention particulière. Le premier motif qui s'y déploie est celui d'une passion née au cœur de l'hiver, à contre-saison, quasiment contre la loi de nature, d'une ardeur inquiétante et comme exaspérée au milieu d'un monde assombri et glacé. Cet appétit d'amour sert de support à une suite de descriptions systématiques du paysage hivernal, souvent rendues plus insistantes par la répétition à la rime d'un nombre limité de mots : extension thématique et virtuosité prosodique s'y conjuguent comme les signes avant-coureurs d'une entreprise poétique autrement vaste et difficile, vers laquelle Dante paraît s'acheminer alors par plusieurs voies.
Une de ces voies est la fréquentation des « écoles des religieux et des disputes des philosophes », pour reprendre ses propres termes, accompagnée de la lecture de plusieurs auteurs latins que laisse déjà deviner dans ses derniers chapitres la prose de la Vita nova. Dans le traité du Convivio(Le Banquet), commencé vraisemblablement en 1303-1304 et interrompu à la fin du IVe livre (l'ouvrage devait en compter 15), Dante fera de ce noviciat « philosophique » un remède à la douleur où la mort de Béatrice l'avait plongé ; mais, à son témoignage même, il se prit bientôt pour la science scolastique et la poésie des Anciens d'une passion dont la vertu consolatrice n'était plus la seule raison. Cette passion du savoir, d'un savoir total, ne le quittera plus : elle se retrouve aussi bien dans les chansons « doctrinales » du Convivioet les longs commentaires qui y font suite que dans plusieurs poésies allégoriques des Rime, dans l'essai linguistique en latin De vulgarieloquentia, entrepris et laissé en suspens au cours des premières années de l'exil, dans le traité politique De monarchia, vraisemblablement écrit, en latin également, autour de 1311, pour soutenir la cause de l'empereur contre les prétentions temporelles de la papauté, dans les épîtres latines, elles aussi d'objet politique, dans la dissertation de physique du globe Quaestio de aqua et terra (1320), dans les églogues latines (1319-1320) et enfin, il va sans dire, dans le « trésor » de science offert par la Comédie.
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Écrit par
- Paul RENUCCI : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
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Médias
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