Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

DANTE ALIGHIERI (1265-1321)

« La Divine Comédie »

Dante Alighieri et les mondes de la Comédie, D. di Michelino - crédits : G. Nimatallah/ De Agostini/ Getty Images

Dante Alighieri et les mondes de la Comédie, D. di Michelino

Nul ne met plus en doute que la Comédie à laquelle l'admiration de la postérité ajouta l'épithète « divine », et dont le titre définit, suivant les catégories littéraires d'alors, un style moins noble et soutenu que celui de la tragédie, dont le modèle est l'Énéidede Virgile, ait été composée tout entière pendant l'exil de Dante. L'odyssée qu'elle conte est celle du poète lui-même, perdu « au milieu du chemin de la vie » dans la forêt obscure du péché, sauvé du péril par l'intercession de la bienheureuse Béatrice, et accomplissant un pèlerinage salvateur dans l'autre monde, sous la conduite de Virgile d'abord (Enfer et Purgatoire), puis de Béatrice elle-même (Paradis).

Commencée sous le trinôme dominant de la « philosophie », personnifiée par Virgile, de l'amour (dont les limites contraires, successivement expérimentées par Dante au temps de la « louange » et à l'époque des « poésies de la pierre », reparaissent, d'une part, avec l'intervention de Béatrice au chant II de l'Enfer et, d'autre part, avec le célèbre épisode de passion sans frein dont l'héroïne est, au chant V, Françoise de Rimini), enfin de l'ardeur politique en quête de justifications idéologiques et morales, la Comédie s'achève après l'intégration absolue du savoir philosophique dans la vérité de Dieu, l'élévation de l'amour, plus que jamais pierre de touche de la liberté, au rang de principe de tout bien et de tout mal, la résolution des problèmes politiques par la doctrine de la légitimité universelle et éternelle de l'Empire, assise à la fois sur les conclusions de la philosophie, les desseins révélés de Dieu et le terme que ces desseins laissent voir dans l'histoire du monde futur.

Cette structure démonstrative n'est pas la patiente application d'un programme arrêté d'avance point par point. La composition du poème, qui n'a pris fin que peu de temps avant la mort de Dante, s'est échelonnée sur quinze ans et plus. Sans vouloir réduire la Comédie à une œuvre en chronique, tributaire des événements survenus dans cet intervalle, il est clair, à de nombreux indices, que des circonstances biographiques et historiques toutes fraîches en ont alimenté l'inspiration. La netteté architecturale du poème ne doit pas donner le change : il ne s'agit pas d'un plan agrandi au pantographe, ni d'un édifice où tout est calculé au départ. La Comédie forme un récit vivant qui absorbe et renvoie à tout instant le dernier « vécu », ne se refusant pas les feintes prophéties quand l'urgence polémique ou lyrique veut qu'il soit parlé de faits survenus depuis 1300, date fictive du voyage dans l'au-delà. Dante y est continuellement présent, non comme un auteur qui parcourrait par la mémoire une époque révolue de sa vie, mais comme un poète instructeur qui vit à la fois sa création et les raisons permanentes d'où elle naît, toujours rallumées et pressantes dans « le monde qui vit mal ».

Il est le sujet de son poème, il n'en est pas la matière. Cette matière, c'est, cas unique dans la littérature de tous les temps, l'univers saisi dans sa totalité, de l'infime à l'incommensurable, du naturel le plus commun, voire le plus trivial, au surnaturel le moins imaginable. Cette matière, en un mot, c'est le tout.

L'itinéraire que dessine le parcours peut n'être qu'une coupe verticale allant de la plus basse extrémité de l'univers à la plus haute, tout vient s'y rassembler. Entre le centre de la Terre, où Lucifer, dans sa ténébreuse prison de glace, occupe la pointe de l'immense excavation en cône renversé qui contient l'Enfer et l'Empyrée, où Dieu est perçu comme un océan de lumière, ce que Dante ne peut faire affluer sous son[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

Classification

Médias

Dante Alighieri, Juste de Gand - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Dante Alighieri, Juste de Gand

Dante Alighieri et les mondes de la Comédie, D. di Michelino - crédits : G. Nimatallah/ De Agostini/ Getty Images

Dante Alighieri et les mondes de la Comédie, D. di Michelino

Autres références

  • LA COMÉDIE, Dante Alighieri - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 706 mots

    La Comédie, ainsi nommée pour la distinguer des grands poèmes tragiques de l'Antiquité, dont le modèle était alors l'Énéide, est bien le chef-d'œuvre que Dante Alighieri (1265-1321) annonçait dans la dernière phrase de son œuvre de jeunesse, la Vita nova : une « admirable...

  • VITA NOVA, Dante Alighieri - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 978 mots

    Les datations proposées par la critique situent la rédaction de la Vita nova, premier récit autobiographique en langue vulgaire de la littérature occidentale, entre 1290 (mort de Béatrice Portinari) et 1295. Le livre se présente comme une anthologie de trente et une poésies reliées et motivées...

  • ABŪ L-‘ALĀ' AL-MA‘ARRĪ (979-1057)

    • Écrit par
    • 1 759 mots
    Certains spécialistes ont évoqué la possibilité d'une influence de l'Épître du pardon, d'Abū l-‘Alā', sur l'œuvre de Dante. La question est loin d'être résolue. Contrairement à ce qui a pu être fait par Enrico Cerulli, à propos de certains souvenirs dans La Divine Comédie des récits...
  • ARNAUD ou ARNAUT DANIEL (actif de 1180 à 1200)

    • Écrit par
    • 598 mots

    Ezra Pound nous met en garde : « Aucune étude de la poésie européenne ne saurait prétendre au sérieux si elle ne commence tout d'abord par une étude de cet art en Provence », écrit-il. Arnaud Daniel fut certainement, parmi les troubadours, l'un des plus habiles artisans de l'ancien provençal. Dante...

  • BONAGIUNTA DE LUCQUES BONAGIUNTA ORBICCIANI dit (1215 env.-env. 1296)

    • Écrit par
    • 278 mots

    Le nom du poète lucquois Bonagiunta Orbicciani figure dans des actes officiels datés de 1242, de 1250 (il y est désigné comme « juge et notaire ») et de 1296. Il est déjà mort en 1300, date fictive que Dante assigne à son voyage d'outre-tombe (La Divine Comédie) au cours duquel il...

  • CULTURE - Culture et civilisation

    • Écrit par
    • 14 361 mots
    • 2 médias
    D'un côté, c'est de l'une des formulations les plus radicales qui aient été données de l'exigence universelle et absolue de réduction de la violence qu'est issue chez Dante la notion de l'ordre « civil », notion spéculative en tant qu'elle reçoit son fondement de l'universalité de l'amour divin, notion...
  • Afficher les 15 références