DANTE ALIGHIERI (1265-1321)
Le monde du poème
Un ordre arithmétique
Donner une image, même schématique, du monde de la Comédie est ici chose impossible. À peine peut-on esquisser l'ordre qui préside à la description des trois royaumes de la damnation, de la pénitence et de la béatitude. Les damnés se distribuent d'abord suivant la nomenclature grégorienne des péchés capitaux, mais, signe peut-être d'une interruption suivie d'un changement de programme dans la composition du poème, les deux derniers péchés, à savoir l'envie et l'orgueil, cèdent la place à une répartition plus complexe qui occupe plus des deux tiers des chants de l'Enfer. Aux termes de ce classement, fondé sur la morale d'Aristote, les péchés passés précédemment en revue (après le cercle des Limbes, la luxure, la gourmandise, l'avarice et la prodigalité, la colère et la paresse) entrent dans la catégorie de l'incontinence, qui est la moins grave des trois dispositions vicieuses de l'âme, les deux autres étant la violence et la fraude. La violence est punie au 7e cercle, subdivisé en 3 zones renfermant 5 variétés, la fraude au 8e, subdivisé en 10 fosses dont certaines présentent également des distinctions ; la trahison, enfin, fournit un 9e cercle, subdivisé en 4 zones. Aux 9 cercles de l'Enfer correspondent, sur la montagne du Purgatoire, qui s'élève à l'antipode de Jérusalem, au milieu de la mer inconnue, 9 régions : l'Antipurgatoire, lieu d'attente où s'expie la négligence tant politique que religieuse, 7 terrasses réservées aux péchés capitaux et le Paradis terrestre au sommet. De même, le Paradis offre 9 sphères concentriques étagées autour de la Terre, les âmes des bienheureux apparaissant dans l'une ou l'autre à Dante et à Béatrice suivant le mérite principal qui leur a ouvert le chemin des cieux.
On relèverait bien d'autres homologies et symétries entre les trois sections de la Comédie et à l'intérieur de chacune d'elles. Mais ce parti d'ordre arithmétique et rationnel n'est jamais contraignant, en ce qu'il ne détermine nulle part les limites d'une scène, d'un exposé ou d'un épisode : il en est de quelques vers alors que tel d'entre eux tient trois chants entiers (Paradis, XV à XVII), les uns s'achèvent avec le chant, d'autres se prolongent dans le suivant ou s'interrompent pour reprendre plus loin. Partout le mouvement inégal et inopiné de la vie se répand dans les harmonies d'une architecture aussi gigantesque que rigoureuse.
Un langage concret
Grandiose jusqu'à atteindre, surtout dans le Paradis, les extrêmes frontières, signifiées avec une extraordinaire force d'évidence poétique, de l'exprimable et du concevable, la vision de Dante se traduit dans un langage concret, intensément figuratif, par lequel le didactisme scientifique, moral, politique ou religieux se revêt d'un inoubliable relief. Cela n'est pas seulement vrai de l'Enfer, où défilent les épisodes, entre tous célèbres, de Françoise de Rimini (V), de Farinata (X), de Pierre des Vignes (XIII), de Brunet Latin (XV), des simoniaques (XIX), des prévaricateurs et de leurs diables (XXI-XXII), d'Ulysse (XXVI), de Guido da Montefeltro (XXVIII), de Bertrand de Born (XXVIII), d'Hugolin (XXXII) ; ce l'est également, et le pouvoir d'émotion n'y est pas moindre, des grands moments du Purgatoire avec Caton d'Utique (I), Manfred (III), les récits de mort violente du chant V, la grande invective politique du chant VI, la féroce description morale de la vallée de l'Arno (XIV), le réquisitoire d'Hugues Capet contre la monarchie française (XX), la réapparition de Béatrice au Paradis terrestre ; ce l'est, enfin, des principaux épisodes du Paradis, ceux de Justinien et de Romieu de Villeneuve (VI), de[...]
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Écrit par
- Paul RENUCCI : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
Classification
Médias
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