Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

DAO [TAO]

Dao (aussi et plus anciennement transcrit tao) est certainement l'un des outils les plus importants dont se servent les nombreuses traditions de pensée chinoises, et donc l'une des premières notions à appréhender pour tout honnête homme qui souhaite entrer en dialogue avec la Chine, ses textes, ses pratiques et ses représentations. Pourtant, il ne figure pas dans les dictionnaires français d'usage courant : signe sans doute que, tandis que l'Inde et la langue sanskrite nous ont fourni bon nombre de mots reconnus et adoptés par les penseurs et même l'usage courant, on croit le chinois moins conceptuel, plus propre à une simple traduction. Or s'il est un mot intraduisible, c'est bien celui de dao : il est souvent rendu par « voie », mais aussi « méthode », « enseignement » ; en chinois classique et encore aujourd'hui, il connaît de surcroît divers usages extrêmement courants, comme « chemin », ou « rue », ou encore « parler », « dire ». Et s'il est un livre chinois qui résiste à la traduction, c'est bien le plus ancien traité consacré au dao, le Daode jing ou « Livre du dao et de son efficacité », ce qui ne l'empêche pas d'être l'un des ouvrages les plus traduits au monde, précisément parce qu'il permet à chacun de lui faire dire ce qu'il entend.

Un sens indicible

Loin d'être une notion floue ou fourre-tout, le dao ne se prête pas à la traduction parce qu'il renvoie simultanément à plusieurs niveaux de discours, descriptif et analytique, universel et particulier, théorique et pratique. Dao désigne couramment un système d'explication et de pratique du monde. Un tel système peut avoir une perspective particulière : chaque école de pensée a son dao, et l'on parle par exemple du dao de la médecine, ou du dao du commerce. Pour certains, un dao englobe tous les dao, et le dao désigne alors une réalité absolue, principe et ressort premier de l'univers d'où tout sort mais qui n'existe pas séparément du monde observable. Dans tous ces cas, le dao est un ordre, qui peut être universel ou particulier, mais toujours naturel et moral (du moins d'une morale supérieure à celle, conventionnelle, que se donnent les communautés humaines) et s'exprimant aussi dans une liturgie. Chaque dao est à la fois l'ordre et le sens, et ce qui met de l'ordre et donne du sens. Ce n'est donc pas un objet de connaissance en soi, mais une pratique de la connaissance vers des effets.

De plus, le dao est un ordre en mouvement, que l'on peut suivre, dans le sens naturel, en accompagnant la marche du monde, ou à rebours, pour remonter à ses origines. Un tel ordre commande et explique (pour qui sait le saisir) le fonctionnement des choses et leurs rapports réciproques, au sein d'un univers en perpétuelle évolution où n'existe pas de distinction entre esprit et matière, mais qui se divise en des formes de plus en plus nombreuses, subtiles ou lourdes, claires ou obscures. Ces formes infinies, prises par l'univers et leurs perpétuelles transformations, sont expliquées, décrites, prévues, voire (pour l'adepte) manipulées au moyen d'outils qui sont à la fois des symboles faits pour servir à l'analyse du monde observable et des entités ayant une existence propre : les plus connus sont le yin et le yang, les cinq agents (wuxing), les trigrammes, les nombres. Le dao est le symbole et l'outil ultime, subsumant tous les autres en un principe, ou, si l'on veut, en une théorie unique (on comprend donc le puissant attrait qu'a exercé la notion de dao, et de façon générale la pensée chinoise, sur certains physiciens et autres scientifiques). Se trouvant en deçà de toutes les distinctions, le dao n'est plus dicible, mais il peut être appréhendé par celui dont l'esprit se rend capable de remonter en deçà des distinctions.[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur (sciences religieuses, E.P.H.E.), chargé de recherche au C.N.R.S.

Classification

Autres références

  • CHINOISE (CIVILISATION) - La pensée chinoise

    • Écrit par
    • 3 431 mots
    • 3 médias
    ...toute immensité. Cet entre-rien-et-quelque-chose, à la fois contingence et nécessité, à quoi nulle chose n'échappe, cet innommable demeure l'innominé.Le mot dao, qui ne renvoie à aucun contenu conceptuel, en est l'index. En l'unité suprême de l'univers, taiyi, réside l'hiérophanie du dao.
  • CHINOISE (CIVILISATION) - Symbolisme traditionnel et religions populaires

    • Écrit par et
    • 7 060 mots
    • 2 médias
    Le Dao est le principe d'ordre qui gouverne la totalité du cosmos et lui assure son unité. À vrai dire, le terme, dont le sens propre est « chemin », est employé avec des valeurs différentes selon les contextes (conduire, mettre en rapport, dire, doctrine). Toutes les écoles philosophiques et religieuses...
  • DAODE JING [TAO-TÖ KING] - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 770 mots
    • 1 média
    ...communication entre le ciel et la terre, mais aussi entre les puissances sacrées et les hommes. C'est le pouvoir mystérieux du devin, du magicien, ou du roi. Aux époques historiques, on prêtait aux rois et aux empereurs une vertu (Dao ou Daode) capable de faire régner l'ordre non seulement parmi leurs sujets...
  • ÉLÉMENTS THÉORIES DES

    • Écrit par
    • 8 197 mots
    Dans l'expression chinoise wu xing, les « cinq éléments », il importe de noter que le sens du mot xing, que l'on a pris l'habitude de traduire par « élément », se rapporte aussi à la notion de « chemin », de « voie », et est ainsi très proche de celle du mot dao. Il...
  • Afficher les 14 références