DAOJI [TAO-TSI]ou SHITAO [CHE T'AO](1641-env. 1720)
Shitao (c'est sous ce surnom de courtoisie qu'il est le mieux connu en Chine, tandis qu'en Occident il est plus souvent désigné par son nom monastique de Daoji) est probablement l'un des peintres chinois les plus étudiés aujourd'hui, tant en Chine qu'à l'étranger. Créateur prolifique et versatile, il a laissé une œuvre immense dont la diversité et l'esprit d'expérimentation poussé audacieusement dans toutes les directions présentent une « modernité » bien faite pour répondre aux préoccupations de notre temps. Plus encore, à côté de son activité de peintre, il a fait œuvre de philosophe en livrant d'abord dans ses inscriptions de peintures et ensuite dans son ouvrage théorique, les Propos sur la peinture (Hua yulu), une méditation esthétique dont la portée nous paraît aujourd'hui dépasser le domaine spécifique de la peinture chinoise pour atteindre des problèmes universels.
Un aristocrate
Le nom véritable de Shitao était Zhu Ruoji ; il était de sang impérial, descendant en ligne directe du frère aîné de Zhu Yuanzhang, le fondateur de la dynastie Ming. Son père, prétendant au trône, fut assassiné (1645) dans les querelles qui, en Chine méridionale, opposèrent entre elles les factions rivales des légitimistes Ming au lendemain de l'usurpation mandchoue. Shitao fut alors pris en charge par quelques serviteurs fidèles ; pour assurer la sécurité du jeune enfant et le protéger contre les persécutions dont la nouvelle dynastie poursuivait tous les individus suspects d'irrédentisme Ming, on le fit moine. L'enfance et l'adolescence de Shitao s'écoulèrent ainsi entièrement dans l'ombre des monastères ; la formation qu'il y reçut le marqua intellectuellement – son célèbre traité sur la peinture est tout empreint de philosophie Chan – mais, à l'inverse d'un Shiqi (Kuncan) par exemple, on peut difficilement parler dans son cas de vocation monastique ou de refus actif opposé à l'ordre nouveau des Qing. Il n'avait pas choisi lui-même de s'éloigner du siècle ; aussi, arrivé à l'âge mûr, une fois que la renommée et les relations sociales que lui avait valu son génie l'eurent définitivement mis à l'abri de tout danger, il reprit l'état laïc. Certains auteurs ont voulu voir en lui une sorte de héros patriotique protestant contre l'usurpation des Qing. La vérité n'est pas si simple : nous savons que par deux fois (Nankin, 1684 ; Yangzhou, 1689) il alla présenter ses hommages à l'empereur Kangxi qui faisait une tournée des provinces méridionales, et, durant son séjour à Pékin (1690-1692), il ne dédaigna pas de fréquenter l'aristocratie mandchoue et les hauts fonctionnaires impériaux avides d'accueillir un artiste illustre.
Shitao fut un grand voyageur : les principaux ports d'attache successifs de sa vie errante furent Xuancheng dans la province d'Anhui, où il fréquenta le peintre Mei Qing, son aîné de plusieurs années et intime ami, puis Nankin où il séjourna plus de neuf ans et où il semble avoir joui d'amitiés et de relations nombreuses, enfin Yangzhou où il se fixa définitivement à partir de 1693. Un riche mécénat bourgeois avait fait de Yang-zhou une métropole artistique et un centre de plaisirs raffinés, et Shitao trouva là un milieu particulièrement bien préparé à apprécier son génie.
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Écrit par
- Pierre RYCKMANS
:
reader , Department of Chinese, Australian National University
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