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FO DARIO (1926-2016)

Un maître

Dario Fo renoue en 1977 avec les circuits institutionnels, en présentant à la télévision, après quinze ans d’exclusion, une rétrospective de ses spectacles, où sont reprises des comédies de la période dite « bourgeoise », comme Isabella, tre caravelle e un cacciaballe (Isabelle, trois caravelles et un embobineur, 1963) ou Settimo : ruba un po’ meno (Septième commandement : tu voleras un peu moins, 1964), qui côtoient le premier spectacle portant entièrement sur la condition féminine, Parliamo di donne (Récits de femmes), créé pour l’occasion, ainsi que Misterobuffo. Ce dernier y fait scandale et suscite des protestations du Vatican, mais l’acteur-auteur est désormais reconnu comme un monument de la culture italienne. Le retour à la télévision est suivi par un retour aux théâtres que Dario Fo et Franca Rame avaient quittés en 1968, et un abandon progressif de la gestion collective de la compagnie. Cela n’empêche pas Fo de continuer à revendiquer une fonction politique pour son théâtre, et de demeurer durablement une figure de référence pour la gauche italienne. Ses spectacles conservent un ancrage dans l’actualité sociopolitique du pays, qu’il parle du problème de la drogue, comme dans Il Papa e la strega (Le Pape et la sorcière, 1989), ou de Silvio Berlusconi, comme dans L’Anomalobicefalo (Le Bicéphale anormal, 2003).

Il intègre de plus en plus à son art théâtral sa formation première d’artiste peintre. Il lui est régulièrement proposé de mettre en scène des spectacles dont il n’est pas l’auteur du texte – essentiellement des opéras – parmi lesquels L’Histoire du soldat de Stravinski à la Scala de Milan en 1978, et surtout une série d’opéras de Rossini, mais aussi Le Médecin malgré lui et Le Médecin volant de Molière à la Comédie-Française en 1990. Il prépare sa mise en scène en produisant une série de dessins qui composent un storyboard du spectacle. Le dessin devient un support récurrent pour l’écriture même de ses propres pièces, jusqu’à faire partie intégrante de la représentation. Dans Johan Padan a la descoverta de le Americhe (Johan Padan à la découverte des Amériques, 1991), Fo raconte les aventures au-delà de l’océan d’un Vénitien embarqué par les Espagnols pour le Nouveau Monde, et qui devient le chef d’un rassemblement d’Indiens avec lesquels il combat les envahisseurs européens. Seul en scène, l’acteur-auteur dispose d’un pupitre sur lequel se trouve un aide-mémoire : une série de dessins. D’abord objet scénique à usage de l’acteur, celle-ci est par la suite montrée sur grand écran aux spectateurs, notamment dans les leçons-spectacles d’histoire de l’art que Dario Fo consacre à partir de 1999 à Léonard de Vinci, Michel-Ange, Mantegna, Raphaël, le Caravage ou encore Picasso.

Le genre de la conférence-spectacle marque l’aboutissement formel d’une tension vers la leçon présente dans le théâtre de Fo depuis ses premières « jongleries », et repérable dans la morale souvent explicite de ses comédies. Se confronter aux grands maîtres de la Renaissance permet de renforcer sa propre figure de maître. Et si le prix Nobel de littérature, en 1997, lui apporte une consécration en tant que grand auteur, paradoxale pour un artiste qui affirme que « le théâtre n’a rien à voir avec la littérature » (Manualeminimodell’attore, 1987[Le Gai Savoir de l’acteur]), il apparaît surtout comme un homme-orchestre qui maîtrise tous les éléments permettant de faire un spectacle à lui seul, comme un phénomène capable de faire théâtre de tout. Bref, comme un homme-théâtre.

Dario Fo meurt à Milan le 13 octobre 2016.

— Valeria TASCA

— Laetitia DUMONT-LEWI

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Écrit par

  • : agrégée d'italien, enseignante en études théâtrales à l'École normale supérieure
  • : agrégée de lettres, maître assistante de littérature comparée à l'université de Paris-III

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Médias

Dario Fo - crédits : Mondadori Portfolio/ Archivio Pigi Cipelli /Pigi Cipelli/ AKG-images

Dario Fo

Franca Rame - crédits : P. Cipelli/ Marka/ Age Fotostock

Franca Rame

Autres références

  • ITALIE - Langue et littérature

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    • 28 412 mots
    • 20 médias
    Deux auteurs très engagés dans les questions sociales et politiques, notamment à partir de la fin des années 1960, sont Dario Fo (1926-2016), prix Nobel de littérature en 1997, et Franca Rame (1929-2013).
  • RAME FRANCA (1929-2013)

    • Écrit par
    • 774 mots
    • 1 média

    « Pourquoi les femmes n’ont-elles jamais de prix Nobel ? Parce qu’elles n’ont pas d’épouse pour les aider ». Cette boutade, Franca Rame, femme de théâtre italienne, aimait à la répéter bien avant que son mari, l’acteur-auteur Dario Fo, obtienne en 1997 le prix Nobel de littérature....