DARK WATERS (T. Haynes)
C'est en 1985 que Todd Haynes s'est imposé comme l'un des fondateurs du New QueerCinemaavec son moyen-métrage Assassins: A Film Concerning Rimbaud, consacré aux amours conflictuelles du poète et de Verlaine. Engagement confirmé par son premier long-métrage, Poison (1991), inspiré de Jean Genet, puis par Carol en 2015, où, avec une grande sensibilité, il traitait cette fois de l'homosexualité féminine. En outre, il n'avait cessé de surprendre sur le plan plastique, utilisant des poupées Barbie pour son autre moyen-métrage Superstar: The Karen Carpenter Story (1987), ayant recours à un délire visuel outrancier, propre au glam rockbritannique, pour Velvet Goldmine (1998) ou encore en confiant à six interprètes différents – dont une femme (Cate Blanchett) – la responsabilité d'incarner les multiples facettes de Bob Dylan dans I'm Not There (2007). Son opus Le Musée des merveilles (Wonderstruck, 2017) a entériné cet attrait pour la singularité par son récit très poétique du périple de deux enfants en quête de parents absents, alternant les années 1927 et 1977, le noir et blanc et la couleur.
Des portraits de l’Amérique
Dénonciateur de l'homophobie et esthète avoué, Todd Haynes s'est aussi révélé comme un cinéaste féru de réalisme sociologique. Preuve en fut donnée dès 1995 avec Safe, où il brossait le portrait d'une Californienne aliénée par son mode de vie matérialiste, puis dans Loin du paradis (Far from Heaven, 2002), où son admiration pour Douglas Sirk inspirait sa belle dénonciation de certains interdits propres aux fifties,comme les amours inter-raciales. Une attitude critique qui ne pouvait que le conduire à se passionner pour le sujet de Dark Waters.
C'est le futur interprète principal du film qui lui présenta le projet. Mark Ruffalo est connu pour son engagement en faveur des grandes questions environnementalistes : il a fondé, en 2011, l'institution Water Defense pour sensibiliser l'opinion à l'impact des extractions de pétrole sur l'eau, donc sur la santé publique. À la lecture de l'article « The lawyer who became DuPont's worst nightmare » de Nathaniel Rich, publié dans le New York Times Magazine du 6 janvier 2016, l'acteur voulut immédiatement en tirer un scénario et fut très rapidement soutenu par la société Participant, célèbre pour ses productions engagées, comme Spotlight (Tom McCarthy, 2016), sur les abus sexuels dans l'église catholique à Boston, dont Mark Ruffalo avait été l'un des interprètes.
Le matériau était difficile à adapter, car les informations d'ordre chimique et juridique impliquaient une rédaction complexe, les dialogues explicatifs risquant d'écraser l'expression visuelle. Mario Correa (auteur du projet de biopic consacré à Wendy Davis, qui défendit le droit des Texanes à l’avortement en 2013) et Matthew Michael Carnahan (Deepwater Horizon, Peter Berg, 2016) s'y attelèrent avec succès, n'omettant aucun détail relatif à la longue et méticuleuse lutte menée par l'avocat Robert Bilott, de 1998 à 2013, contre l'entreprise de produits chimiques E.I. DuPont de Nemours and Company. Une lutte qui fut engagée d'une manière paradoxale.
En effet, Robert Bilott était un avocat de Cincinnati travaillant pour le cabinet Taft Stettinius & Hollister, qui défendait les intérêts de DuPont. Contacté en toute naïveté par un éleveur de Virginie-Occidentale, Wilbur Tennant – qui avait connu Bilott enfant alors qu'il passait ses vacances près de son exploitation –, l'avocat fut forcé de constater les faits : le bétail de la famille Tennant avait été décimé par les fuites toxiques qui émanaient du centre d'enfouissement des déchets de Dry Run, lieu où l'usine Washington Works, gérée par DuPont, déversait ses propres résidus. Soutenu par son employeur, Bilott finit par découvrir que[...]
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Écrit par
- Michel CIEUTAT : enseignant-chercheur retraité de l'université de Strasbourg
Classification
Média