DARWINISME
Contrecoups du darwinisme en sciences sociales
La théorie générale de l'évolution des espèces présentée par Darwin suscite depuis son apparition deux types de polémiques bien distinctes. Les premières portent sur le lien généalogique qu'il établit entre l'homme et l'animal ; les secondes, sur les doctrines qui manifestent l'ambition d'expliquer les phénomènes psychologiques, sociaux et culturels humains en invoquant Darwin. Sur ce second plan, la polémique est d'autant plus vive depuis le xixe siècle que ces doctrines se sont souvent prolongées dans des discours à forte charge raciste et, plus largement, discriminatoire, associés de très près à des faits criminels, comme les exactions coloniales, les politiques eugénistes ou les génocides nazis. Le constat de telles horreurs suscite une interrogation, récurrente depuis un siècle et demi : y aurait-il quelque chose, dans le darwinisme, qui conduit, d'une manière ou d'une autre, à ce type de dérives ? Pour répondre à cette question complexe, il faut commencer par revenir au xixe siècle.
Biologiser l'ordre social
Dans les décennies qui suivent la parution de On the Origin of Species by Means of Natural Selection (1859), le cousin de Darwin, Francis Galton, soutient qu'il faut tirer les conséquences politiques du principe de la sélection naturelle. Selon lui, les maladies mentales, le dérèglement moral, la pauvreté, le niveau d'éducation ou encore la criminalité constituent autant de phénomènes qui trouvent leur source dans la constitution organique héréditaire des individus. Il faut donc, conclut Galton, faire en sorte que les couches sociales qu'il juge « inférieures » se reproduisent moins que les couches sociales « supérieures », afin que la composition biologique – et, donc, selon lui, la composition intellectuelle et morale – de la population s'améliore. Tels sont les principes de ce qu'il nomme l'eugénisme, courant qui connaît un vif succès dans une partie des élites occidentales aux xixe et xxe siècles.
Parallèlement à cet eugénisme – et parfois en lien étroit avec lui – se développe dans le monde savant et lettré une nébuleuse de doctrines, que ses détracteurs nomment à la fin du xixe siècle le darwinisme social. Cette théorie rassemble des penseurs qui ont en commun de considérer qu'il y a une évolution des sociétés humaines, le moteur de cette évolution étant la sélection naturelle. Les sensibilités politiques de ces darwinistes sociaux sont parfois très différentes. Pierre Kropotkine, par exemple, théorise un socialisme pacifiste. Il considère que la sélection naturelle va favoriser le développement d'une forme d'altruisme au sein des sociétés, qui conduira à plus ou moins long terme à la paix entre les nations. Mais beaucoup de darwinistes sociaux défendent des thèses politiques tout opposées, axées sur le thème de l'élimination des « moins aptes » par la concurrence ou la lutte. C'est le cas, par exemple, de Houston Stewart Chamberlain, dont s'inspirera Hitler, qui invoque le darwinisme pour justifier un nationalisme raciste et belliqueux.
Par-delà ce qui les sépare, ces différentes théories sont toutes rattachées à l'idée d'une hiérarchie des races et des classes sociales. Dans un tel cadre, les classes sociales défavorisées des sociétés occidentales – sociétés considérées comme les plus évoluées –, mais aussi les malades mentaux, les criminels ou encore les porteurs de handicaps sont volontiers considérés comme des persistances ou survivances de « races » dites « sauvages » ou « inférieures » rencontrées hors d'Europe.
Les défenseurs de ces doctrines se réclament généralement de Darwin et, plus largement, de ce qu'ils nomment l'hypothèse de l'« évolution ». Darwin lui-même, dans quelques-unes[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Dominique GUILLO : chercheur au C.N.R.S., laboratoire Gemas
- Thierry HOQUET : professeur des Universités, université Paris-Nanterre
Classification
Autres références
-
AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA, Friedrich Nietzsche - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe GRANAROLO
- 1 270 mots
...Mais de quoi s’agit-il en réalité ? Nietzsche a répété qu’il était « anti-darwinien ». Or annoncer l’avènement de la surhumanité, n’est-ce pas encore du darwinisme, ainsi que l’ont supposé nombre de mauvais lecteurs de Nietzsche ? Non, Zarathoustra ne prédit en aucune façon l’apparition nécessaire du Surhumain... -
DARWIN CHARLES ROBERT (1809-1882)
- Écrit par Charles BOCQUET et Encyclopædia Universalis
- 3 134 mots
- 2 médias
Bien que la notion de devenir, connaturelle à l'esprit humain, n'ait pas manqué, dans l'Antiquité même, d'être appliquée aux espèces vivantes – notamment par Anaximandre de Milet (vie s. av. J.-C.) et par quelques Pères de l'Église, tel saint Augustin –, le ...
-
DISCOKERYX XIEZHI
- Écrit par Bastien MENNECART
- 1 130 mots
- 2 médias
En 1859, Charles Darwin publie L’Origine des espèces, où il développe le mécanisme de l’évolution au travers du procédé de sélection naturelle. Cette dernière comprend deux volets : la sélection de survie (aussi appelée sélection écologique ou utilitaire) et la sélection sexuelle. Selon Darwin,... -
ÉPIGÉNÉTIQUE ET THÉORIE DE L'ÉVOLUTION
- Écrit par Laurent LOISON et Francesca MERLIN
- 3 654 mots
- 4 médias
...Terre. C’est à cette seule condition que le lamarckisme pouvait se constituer comme une alternative au darwinisme. Il ne s’agissait pas de compléter le darwinisme en y ajoutant un nouveau facteur évolutif, mais bien de le supplanter en montrant que la sélection naturelle était – et surtout avait toujours... - Afficher les 25 références