CRONENBERG DAVID (1943- )
Établi à Toronto, où il naquit le 15 mars 1943 et où il fit des études scientifiques, puis littéraires, David Cronenberg est, avec Atom Egoyan, l'un des rares cinéastes de fiction du Canada anglophone. Mais ses films l'ont surtout rendu insituable sur toute carte du cinéma ou de la géographie humaine : à l'image de la mutation qui en est le thème majeur, l'œuvre de David Cronenberg réforme et reforme les lois d'un genre (le fantastique, l'épouvante) pour en repousser les frontières. Et si sa maîtrise technique le place sur un pied d'égalité avec les maîtres des effets spéciaux du cinéma américain, c'est au service d'une sensibilité plus européenne qu'il met ce savoir-faire, à travers l'exploration d'un monde cérébral, volontiers tenté par des pistes psychanalytiques, et traversé par une réflexion sur les divers conditionnements de l'être humain. L'étrangeté qui en résulte contribue à accentuer le caractère profondément unique et la valeur de rupture d'une telle démarche.
Le corps en mutation
C'est la découverte du cinéma underground qui détermine David Cronenberg à réaliser quelques courts-métrages à la fin des années 1960, et ce sont de petites sociétés de production spécialisées dans les films pornographiques qui financent ses premiers longs-métrages. Placée sous de tels auspices, son inspiration n'apparaît guère plus sérieuse que celle d'un provocateur concoctant avec des moyens dérisoires des spectacles sanguinolents. Cronenberg gardera un temps cette image de cinéaste mineur et désuet. Pourtant, dès Frissons (Shivers, 1975), où une épidémie de violence sexuelle décime les habitants d'un immeuble moderne, l'obsession qui fonde l'imaginaire du cinéaste est à l'œuvre : le corps comme vecteur du fantastique et objet d'expérimentation scientifique – un médecin fou est ici responsable de l'épidémie transmise par un animal monstrueux. Rage (Rabid, 1977) réaffirme cette fascination pour la contamination, les métamorphoses physiques et la dégénérescence des instincts humains (ici ceux d'une femme, transformée en prédatrice sexuelle après une greffe de peau), de même que Chromosome 3 (The Brood, 1979), où une mère donne naissance à des gnomes cruels qui accomplissent ses désirs de meurtre refoulés. Marqué par les découvertes de la nouvelle psychiatrie, le film ouvre la voie à une approche plus intériorisée de l'horreur, dont le cerveau humain devient le foyer dans Scanners (1981), où deux frères télépathes s'affrontent avec les armes d'une pensée assassine, et dans Dead Zone (1983), adaptation d'un roman de Stephen King dont le héros est un accidenté de la route qui développe des dons visionnaires.
Le pouvoir de l'image est au centre des préoccupations de David Cronenberg. Dès lors, on ne s'étonne pas de le voir devenir, en juillet 2006, commissaire d'une exposition consacrée à Andy Warhol, et rencontrer l'intérêt du peintre pour la représentation de la célébrité et celle de la mort, deux thèmes qui soulèvent directement la question du retentissement de ce qu'on donne à voir (Andy Warhol/Supernova : Stars, Death and Disasters 1962-1964 fut présenté en 2006 au musée des Beaux-Arts de l'Ontario, à Toronto).
Les films de Cronenberg éclairent souvent brillamment les mutations de notre rapport quotidien aux images, mais le cinéaste voit également là un motif romanesque qui prolonge l'histoire des avatars du corps racontée dans tous ses films. Projetée, manipulée, greffée ou inventée, l'image rencontre en effet toujours le corps, celui du héros de Videodrome (1983), devenu un magnétoscope vivant, comme celui de M. Butterfly (1993), cet homme qui fait l'amour avec un autre homme en croyant s'unir à une femme, et s'accouple à[...]
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Écrit par
- Frédéric STRAUSS : journaliste
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Médias
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