CRONENBERG DAVID (1943- )
Une vision politique du cinéma
La liberté était déjà en jeu dans eXistenZ (1999), qui marqua l'actualisation de quelques obsessions de Cronenberg (les faux-semblants, les simulacres de l'image), à l'heure où la notion de « virtuel » investissait, via les jeux vidéo, notre univers quotidien. L'héroïne du film, Allegra Geller, est une artiste des nouvelles technologies. Elle crée des mondes alternatifs et des jeux comme « eXistenZ », un logiciel qui, en se branchant directement sur le système nerveux, entraîne ses utilisateurs dans une course poursuite hors de la réalité. Mais Allegra va devenir la cible d'une organisation terroriste, Les Réalistes, qui fait du retour au monde réel une loi absolue... La liberté d'expression est le vrai sujet de cette fable futuriste. Dans ses entretiens avec Serge Grünberg, le cinéaste déclare que le scénario d'eXistenZ lui a été en partie inspiré par une interview de l'écrivain Salman Rushdie qu'il avait réalisée pour le magazine canadien Shift en juin 1995. La condition de l'« artiste sur qui pèse une fatwa » ne pouvait qu'être particulièrement sensible à Cronenberg, qui a fait, à de nombreuses reprises, l'expérience de la censure, morale (en raison d'images violentes, ou dérangeantes) mais aussi politique (en raison d'idées subversives, particulièrement au regard des normes de la production américaine). L'art, qu'il s'agisse d'écriture ou d'images, doit s'opposer au goût et à l'idéologie majoritaires : c'est ce que rappela Cronenberg, en décernant la palme d'or du festival de Cannes 1999, qu'il présidait, au film Rosetta des frères Dardenne, et le grand prix du jury à L'Humanité de Bruno Dumont. Ce palmarès houleux est vite devenu, à juste titre, le symbole d'un esprit d'indépendance et d'une vision « politique » du cinéma.
L'exigence et la complexité de cette démarche, fondamentalement philosophique mais également ludique dans son rapport avec le spectateur, n'a pas facilité la carrière de Cronenberg. Ses projets inaboutis sont nombreux, et on est en droit de se demander si les films dont il a pu trouver le financement n'étaient pas, parfois, moins intéressants. Ainsi Spider (2002) retient surtout l'attention d'un point de vue formel, mettant en valeur le talent de deux collaborateurs réguliers de Cronenberg, le chef-opérateur Peter Suschitzky et le compositeur Howard Shore (lequel s'est depuis lancé dans l'écriture d'un opéra adapté de La Mouche). Il s'agit du portrait d'un homme qui, après de longues années en hôpital psychiatrique, retrouve le quartier londonien où il a laissé ses souvenirs d'enfance, qui recèlent les raisons de son trauma. Le scénario propose donc, de manière classique, une explication, des clés pour comprendre le héros de Spider. Les taches du fameux test de Rorschach, que Cronenberg a utilisées pour le générique, ne sont cependant pas pour lui des marqueurs permettant un diagnostic, mais des zones sombres et déchirées du mystère indéchiffrable de l'âme et de l'identité.
En 2007, le cinéaste réalise Eastern Promises (Les Promesses de l’ombre), un thriller situé dans les milieux de la mafia russe, à Londres, mais qui est sans doute plus qu'un film de genre. Cronenberg retrouve à cette occasion Viggo Mortensen, l'acteur de A History of Violence, et une configuration dramatique semblable, plaçant une femme au milieu d'un monde d'hommes violents. Car tous les films de Cronenberg sont aussi, en filigrane, une rêverie, et par conséquent un cauchemar potentiel, sur les rôles respectifs des hommes et des femmes, et sur les stéréotypes (puissance, violence du mâle) qui les déterminent, tant sexuellement que socialement. David Cronenberg reprend cette problématique[...]
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Écrit par
- Frédéric STRAUSS : journaliste
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Médias
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