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GROSSMAN DAVID (1954- )

La violence et le deuil

Dans les livres qui suivent, l’écrivain poursuit son analyse de l’intime avec des personnages confrontés à des situations inhabituelles qui les conduisent à dévoiler les méandres les plus profonds de leur être. Tu seras mon couteau (1998) est une sorte de roman épistolaire où, par l’unique truchement des mots, se tisse un lien intense, à la fois imaginaire et bien concret, entre un homme et une femme. En toile de fond, le vœu que « ces milliers de mots puissent à présent prendre corps ». Après J’écoute avec mon corps (2002), composé de deux longues nouvelles, le roman Une femme fuyant l’annonce (2008, prix Médicis étranger 2011) brosse une grande fresque qui s’étend sur plusieurs décennies. Durant cette période, l’histoire des trois principaux protagonistes, deux hommes et une femme, suit celle d’Israël. Au premier plan, le récit de la randonnée d’Ora en compagnie d’Avram, son amour de jeunesse, à travers tout le pays, de la Galilée au nord jusqu’à Jérusalem, tandis que dans le même temps son fils, achevant son service national, est engagé dans une action militaire importante. Cette randonnée est une fuite déguisée organisée par Ora afin d’échapper à la mauvaise nouvelle qu’elle redoute de recevoir – l’annonce de la mort de son fils – et en fait une tentative désespérée d’empêcher l’éventuelle catastrophe. En août 2006, alors qu’il est en pleine rédaction de son roman, et quelques jours après avoir publiquement protesté avec d’autres écrivains contre la poursuite des hostilités, David Grossman apprend la mort de son fils, tué pendant la deuxième guerre du Liban. La publication d’Une femme fuyant l’annonce a fait figure d’événement, bien au-delà du champ de la seule littérature.

Dans Tombé hors du temps : récit pour voix (2011), Grossman déroule à travers de multiples monologues poétiques une intrigue qui se situe dans un espace-temps imaginaire. Les personnages, des parents dont les fils sont tombés à la guerre, se rassemblent, partageant une douleur commune, et partent pour un voyage sensé les mener soit vers le monde des morts, soit vers une forme de résilience, en dépit de l’horreur qui a anéanti leur existence. L’écrivain, parmi eux, tente d’affronter sa douleur avec son art. Son cœur se brise lorsqu’il se rend compte qu’il a pu trouver des mots pour « ça », et continuer à vivre dans ce monde avec la penséede son fils mort.

Le roman Un cheval entre dans un bar (Booker Prize 2017) évoque à nouveau la perte et le deuil : mêlant à son spectacle les souvenirs de sa propre vie, un humoriste provoque son public et l’entraîne vers le moment où, encore adolescent, sa vie a basculé.

Ces romans constituent la partie centrale de l’œuvre de Grossman. L’écrivain a également publié deux romans destinés aux adultes aussi bien qu’aux adolescents : L’Enfantzigzag (1994) et Quelqu’un avec qui courir (2000). Outre Le Jardin de Ricky (1988), unique expérience dans le domaine du théâtre, Grossman a également publié une douzaine d’albums pour la jeunesse.

David Grossman est également essayiste politique. En 1987, après avoir parcouru les territoires de la Judée-Samarie, il publie dans Le Vent jaune les entretiens qu’il a eus avec les habitants arabes de la région. Il établit une cartographie à la fois concrète et littéraire, accompagnée d’une critique aiguisée de la vie des Palestiniens sous le gouvernement militaire israélien à la veille de l’éclatement de la première Intifada. Les Exilés de la Terre Promise. Conversations avec des Palestiniens d’Israël (1992) est aussi une mosaïque composée de reportages et d’interviews ainsi que des descriptions et des récits rassemblés lors d’une enquête menée par l’écrivain auprès des populations arabes, mais cette fois à l’intérieur de la « ligne verte » (les frontières d’avant 1967).[...]

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Écrit par

  • : professeure des Universités en littérature hébraïque moderne et contemporaine

Classification

Autres références

  • SHOAH LITTÉRATURE DE LA

    • Écrit par
    • 12 469 mots
    • 15 médias
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