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LAWRENCE DAVID HERBERT (1885-1930)

Hantises sexuelles

Le couple dépeint dans Lady Chatterley, très proche de celui formé par Teresa et Ramón dans Le Serpent à plumes (The Plumed Serpent, 1926), rappelle, à travers la nécessité prônée de combler les différences sociales et affectives grâce à « l'amour phallique » ou l'amour-adoration, d'abord le couple formé par les parents Lawrence, ensuite celui, si tumultueux, de Frieda et de Lawrence lui-même. Répétition dramatique mais créatrice en ce qu'elle a permis à l'écrivain de revivre cette enfance qui féconda sa pensée. De cette répétition, Lawrence va tirer sa conception d'une femme socialement et intellectuellement supérieure, souvent frigide, parfois fatalement sensuelle, Circé détruisant l'homme-proie ; conception fortifiée par la personnalité de Frieda, que Lawrence, dans une lettre à Katherine Mansfield (1918), qualifie de « nouvelle mère dévorante ». Dans cette œuvre, tant de couples ne se mesurent que pour combattre la tendance de l'auteur vers un amour-anéantissement ayant la mortelle saveur de l'attachement maternel. Si L'Arc-en-ciel décrit la quête de l'autre à travers l'acte sexuel, on y pressent la leçon finale de Lady Chatterley : la nécessité absolue pour l'homme de retrouver, après de fugaces fusions, sa solitude et son intégrité. Femmes amoureuses comme d'ailleurs la remarquable Verge d'Aaron (Aaron's Rod, 1922) et Kangourou (Kangaroo, 1923) trahissent la nostalgie d'une relation d'homme à homme. On soupçonne que la peur de la femme, causée par l'emprise de la mère d'abord, par celle de Frieda ensuite, alliée au traumatisme dû à la scène certainement capitale relatée par H. Moore (en hiver 1901, certaines ouvrières de l'usine où travaillait le jeune apprenti Lawrence malmenèrent et dénudèrent l'adolescent), contribua à renforcer chez l'écrivain la crainte et la haine du matriarcat, qu'il éprouva la vitale nécessité de fuir dans l'amitié masculine, amitié ambiguë à laquelle ses amis (dont Middleton Murry) ne pouvaient répondre comme Lawrence l'eût souhaité. Cette attitude ambivalente explique certains thèmes : ceux du viol, de la misogynie, d'une certaine chasteté et de la solitude nécessaires, de l'obligation de rompre le cordon ombilical et d'annuler le passé, thèmes qui ne manifestent jamais le vulgaire désir d'une liberté facile, mais dénotent les sursauts intimes d'une nature guettée par l'autodestruction. Les essais explicitent la leçon des romans ; ce que Lawrence veut cerner, c'est un mode de connaissance à la fois ancien et nouveau qui, loin de se confondre avec une prise de conscience mentale, se développe dans une zone d'obscurité soigneusement maintenue où triomphent le sexe, la magie, le mystère, le sang. L'homme n'est vraiment lui-même que dans une sorte de barbarie éclairée où il retrouve les vraies valeurs religieuses et primitives et conserve sa maîtrise ; la femme s'exprime par la foi et l'adoration. Une telle vision du couple, que vient contredire l'obsédante présence de femmes supérieures, témoigne d'un souci angoissé et croissant de réhabiliter à travers l'œuvre un père trop hâtivement jugé dans l'adolescence et trahit la nostalgie d'une inconscience prénatale. Ces contradictions vont permettre à l'écrivain de pénétrer avec autant de violence ce qu'il aime que ce qu'il exècre, ce qu'il recherche que ce qu'il fuit. Sa haine n'est souvent qu'un masque pour des affinités cachées, comme en témoigne sa critique de Poe. Douloureuse et inquiétante, qu'elle s'abandonne à un lyrisme parfois chaotique, qu'elle prenne le ton désespéré des derniers romans ou les accents d'un visionnaire comme Blake (cf. les essais sur la psychanalyse et l'inconscient), la voix de Lawrence ne cesse d'explorer ces profondeurs que la psychologie moderne s'applique à scruter : rôle de l'inceste et de l'œdipe, de la bisexualité et de l'ambivalence. Témoin d'un monde finissant, Lawrence[...]

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