HUME DAVID (1711-1776)
La critique de la causalité
Parmi les études que Hume a laissées sur les diverses relations, la plus célèbre est sa critique de la causalité. La causalité devait, à vrai dire, le préoccuper particulièrement, comme semblant, dès le départ, mettre en échec son empirisme. Car cette relation ne se borne pas à lier deux termes présents en notre expérience : elle amène la pensée à passer d'une cause donnée à un effet encore non donné, mais seulement attendu. Si je vois du feu, je suis convaincu, par exemple, avant même de m'être brûlé, que, si j'y mets la main, le feu causera une brûlure. Faut-il donc croire qu'en ceci l'esprit, par ses seules ressources, soit capable de dépasser l'impression ? Tout au contraire, Hume va rechercher l'impression particulière dont naît l'idée de causalité.
Qu'avons-nous dans l'esprit quand nous parlons de causalité ? Tout d'abord un rapport spatio-temporel de contiguïté et de succession immédiate. Même quand la cause et l'effet semblent lointains et séparés, nous supposons des chaînons qui les relient : la véritable cause est donc toujours tenue pour contiguë à l'effet. Mais contiguïté n'est pas causalité : souvent un fait en précède un autre sans que nous le tenions pour sa cause. L'idée de cause est celle d'une connexion nécessaire.
Selon le rationalisme classique, l'idée de connexion nécessaire est ramenée à celle d'un rapport logique entre deux termes : la cause contient la raison suffisante de l'effet. Hume montre au contraire que, le phénomène cause étant seul donné, il serait impossible d'en déduire a priori l'effet : de l'idée du refroidissement de l'eau, je ne tirerai jamais l'idée de sa solidité, de sa transformation en glace. En fait, c'est entre des phénomènes hétérogènes et intellectuellement séparables que nous affirmons le lien de causalité.
L'idée de cause viendrait-elle donc d'une impression objective ? Apercevrions-nous dans les choses une énergie se déployant, une force passant d'un terme à l'autre ? Il n'en est rien : jamais, dans l'objet, nous n'apercevons une telle force. Et cela est également vrai de la causalité volontaire : lorsque je veux lever mon bras, je constate ma volition, puis le fait que mon bras se lève, mais je ne saisis aucun pouvoir efficace qui, parti de ma volonté, soulèverait mon bras. À vrai dire, j'ignore tout à fait comment je puis mouvoir mes membres, et même changer le cours de mes pensées.
Notre croyance en la causalité ne peut donc être expliquée qu'à partir de la tendance que nous avons à passer d'un terme à l'autre. Cette tendance elle-même naît en nous de la répétition. L'expérience nous montre la constance de certaines successions, et l'habitude, qui est un principe de la nature humaine, nous détermine à attendre dans l'avenir les mêmes successions que dans le passé. Certes, la répétition des successions ne nous offre rien de nouveau sur le plan objectif, car chaque conjonction nouvelle ne diffère en rien de la précédente et ne nous révèle, entre ses termes, aucun lien jusque-là inaperçu. Mais la répétition fait naître en l'esprit une habitude, qui engendre à son tour notre attente du second terme lorsque le premier est donné.
Il est clair, en ceci, que la causalité trouve son fondement dans le sujet : sans un sujet, et un sujet ayant une nature, la répétition n'engendrerait rien. La nature humaine devient ainsi le principe d'explication dernière des relations qui semblaient d'abord objectives. Il est à peine besoin de remarquer que, par cette théorie, la philosophie abandonne la voie de la métaphysique, qui cherchait dans l'être la source de la causalité, et s'engage dans celle qui conduira au criticisme kantien.[...]
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Écrit par
- Ferdinand ALQUIÉ : professeur honoraire à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques)
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