HUME DAVID (1711-1776)
Scepticisme et naturalisme
Ce n'est donc pas sans raison que l'on a pu tenir la philosophie de Hume pour un scepticisme, et qu'en un autre sens on a pu y voir, selon l'expression de Jean Laporte, un dogmatisme du sentiment. Cette philosophie marque la fin de la métaphysique entendue au sens classique, de la métaphysique comme spéculation sur l'Être et sur l'absolu. Elle annonce, d'autre part, le kantisme, mais sans se soucier de donner au savoir un fondement rationnel et rigoureux. Entre le dogmatisme et le criticisme, elle constitue le moment du naturalisme. L'Univers s'y trouve privé de causalité et de substance. Le sujet n'y est pas encore le sujet transcendantal. Mais la nature y est conçue de telle façon que nous pouvons, en elle et grâce à elle, vivre, penser et agir.
Sur un plan purement spéculatif, nous sommes réduits au scepticisme. Selon Hume, en effet, ni la réalité des corps extérieurs, ni celle de Dieu, ni celle de notre moi ne nous sont accessibles. Croire à l'existence des corps, c'est croire à l'existence, distincte et continue, de choses indépendantes de nous, qui durent alors même que nous ne les percevons pas. Une telle croyance est instinctive et naturelle, elle est universellement répandue parmi les hommes. Il demeure que nos sens ne nous révèlent que des existences intermittentes et dépendant de nous, puisque les qualités sensibles sont relatives à notre conscience. Quels caractères positifs pourrions-nous donc attribuer à ces corps indépendants de nous ? Il faut avouer ici que nous croyons à une existence que nous ne saurions, d'aucune façon, définir.
Il en est de même pour Dieu. On peut, à la rigueur, s'élever à son idée comme à celle d'une cause du monde, et surtout de l'ordre du monde. Mais dès qu'il s'agit de préciser quelle est cette cause, toute argumentation devient impossible : nous ne savons pas si elle est nature ou esprit, si elle est bonne ou si elle est mauvaise. Ici encore, nous affirmons ce qu'en réalité nous ignorons.
Connaissons-nous au moins le moi, ce sujet sur lequel, on l'a vu, Hume fait reposer l'ensemble des relations elles-mêmes ? Point du tout. Car le moi, supposé comme étant le sujet de toutes les impressions, n'est lui-même donné par aucune impression. Nous ne rencontrons, en nous tournant vers nous-mêmes, qu'une succession de perceptions distinctes. L'identité du moi nous échappe tout à fait.
Il ne faut donc pas s'étonner de trouver parfois chez Hume les accents d'un véritable désespoir. C'est le cas, par exemple, dans les conclusions de la quatrième partie du premier livre du Traité de la nature humaine. « Je suis, déclare Hume, effrayé et confondu de cette solitude désespérée où je me trouve placé dans ma philosophie [...] Quand je tourne mes regards vers moi-même, je ne trouve rien que doute et ignorance [...] Puis-je être sûr qu'en abandonnant toutes les opinions établies je sois en train de poursuivre la vérité ? Et quel critère me permettra de la distinguer ? [...] Après le plus soigneux et le plus précis de mes raisonnements, je ne peux donner d'autre raison de l'assentiment que je lui accorde, je ne sens rien d'autre qu'une forte tendance à considérer fortement les objets sous le jour où ils m'apparaissent [...] Je me trouve enveloppé de l'obscurité la plus profonde. »
Mais le désespoir de Hume demeure philosophique. Nous sommes au xviiie siècle, et un optimisme naturaliste, qui n'est pas de l'ordre de la pensée rationnelle, mais repose sur le sentiment, vient vite à notre secours. Hume ajoute en effet : « Très heureusement, il se produit que, puisque la raison est incapable de chasser ces nuages, la nature elle-même suffit à y parvenir : elle me guérit de cette mélancolie philosophique et de ce[...]
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Écrit par
- Ferdinand ALQUIÉ : professeur honoraire à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques)
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