MERCER DAVID (1928-1980)
Né dans le Yorkshire, fils d'un cheminot très attaché aux traditions du combat syndical, David Mercer incarne toutes les contradictions du théâtre engagé anglais des années soixante et soixante-dix. Comme un Thomas Hardy ou un D. H. Lawrence, Mercer s'est arraché à sa classe d'origine par son éducation et en conservera toujours un problème d'identité. Il quitte l'école à quatorze ans, fait une succession de métiers divers, puis étudie à l'université de Durham où il découvre les maîtres à penser des intellectuels de gauche de sa génération (Marx, Trotski, Freud, Jung, Sartre). C'est le début d'une longue relation complexe et ambiguë avec le marxisme. En 1957, une dépression nerveuse lui fait connaître la psychanalyse et la psychiatrie clinique. Il faut ajouter à cela l'influence des théories de Ronald Laing sur la folie comme subversion de l'ordre psychologique et social, et l'on comprend la place essentielle qu'aura la folie dans son théâtre.
Il écrit d'abord une trilogie pour la télévision : The Generations. La première pièce, Where the Difference Begins, 1961 (Là où commence la différence), a pour thème le déracinement social : deux fils originaires de la classe ouvrière se trouvent peu à peu coupés de leur milieu par leur éducation et déchirés par cette double appartenance. A Climate of Fear, 1962 (Un climat de peur) nous présente la seconde génération : des intellectuels de gauche luttent pour le désarmement nucléaire mais sont incapables de passer des discours abstraits aux actes. Dans la troisième pièce, The Birth of a Private Man, 1963 (La Naissance d'un simple individu), un nouveau pas est franchi : le private man, c'est à la fois l'intellectuel qui se retire du combat politique où il ne voit qu'horreur et folie, et le jeune dissident polonais qui refuse de s'enfermer dans la régression et continue le combat. La problématique mercérienne se cristallise ainsi sur la lutte de l'individu pour échapper aux institutions sociales, politiques, intellectuelles.
Folie et régression dominent les pièces suivantes de Mercer. Dans A Suitable Case for Treatment, 1962 (Bon pour un traitement médical), Morgan, incapable d'affronter le monde tel qu'il est, se réfugie dans la marginalisation sociale, puis dans un imaginaire fantasmatique peuplé de gorilles (l'animal auquel il s'identifie), enfin dans la folie. Dans For Tea on Sunday, 1963 (Dimanche pour le thé), le rituel civilisé du dimanche anglais est brutalement brisé par l'intrusion de la folie meurtrière. Ride a Cock Horse, 1965 (Le Cheval de bois) décrit la régression dans la psychose d'un écrivain à succès d'origine ouvrière, coupé de sa classe par sa réussite. Belcher's Luck, 1966 (La Chance de Belcher) et Flint (1970) ont des héros assez semblables : un domestique de châtelain, Belcher, et un pasteur, Flint, tous deux des personnages truculents, hauts en couleur, aux débordements sexuels scandaleux mais à la vitalité irrésistible, incapables de se plier au carcan des cadres institutionnels ou moraux.
Mercer reprend ensuite un mode beaucoup plus sombre avec une nouvelle trilogie. On the Eve of Publication, 1969 (À la veille de la publication) dont la nouveauté réside dans une manipulation complexe de la chronologie. Dans The Cellar and the Almond Tree, 1970 (La Cave et l'amandier), l'amandier est le symbole du passé aristocratique de la Tchécoslovaquie (représenté par une vieille comtesse enfermée dans ses souvenirs d'avant-guerre) et la cave, celui de la chambre de torture (qu'obsède l'autre personnage, un responsable communiste). Enfin Emma's Time, 1970 (Le Temps d'Emma) reprend la désarticulation chronologique en nous montrant les efforts d'une femme pour accepter la mort de l'homme qu'elle a aimé. Le temps a[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- André TOPIA : professeur de littérature anglaise à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification