SMITH DAVID (1906-1965)
La place du sculpteur David Smith, dans l'histoire de l'art américain de ce siècle, ne peut se comparer qu'à celle de l'architecte Frank Lloyd Wright ou à celle du peintre Jackson Pollock. Comme eux, il libéra l'art de son pays du provincialisme dans lequel il était installé depuis de nombreuses années à l'égard de l'Europe et créa à partir d'un vocabulaire original fondé sur le caractère spécifique du tempérament américain une tradition nouvelle qui devait ouvrir la voie à de nombreux artistes. Descendant d'un pionnier forgeron, ayant horreur des contraintes, gagnant lui-même sa vie en faisant cent métiers, David Smith, personnage héroïque et romanesque de la vie artistique new-yorkaise, devait connaître, comme Pollock, une fin tragique dans un accident de voiture. Exubérant et énergique, il a produit une œuvre immense (plus de six cents sculptures, des milliers de dessins et de peintures, sans compter les poèmes et les écrits) qu'une importante rétrospective au Solomon R. Guggenheim Museum de New York devait consacrer en 1969.
Le dessin dans l'espace
Né en 1906 à Decatur (Indiana) et étudiant à l'Art Students League dans l'atelier de Jan Matulka, David Smith est d'abord peintre et ne s'initie à la sculpture qu'en 1930. Il débute en fixant des objets à la surface de la toile, qui devient ainsi le support de constructions composées de bois, fils de fer et corail – Construction, 1932 ; Untitled (Virgin Island Tableau), 1931, Weatherspoon Art Gallery, University of North Carolina, Greensboro –, et qu'il peint parfois. Sa démarche artistique sera longtemps marquée, pour ne pas dire gênée, par cette double appartenance et ce souci constant de concilier peinture et sculpture, souci qui fait de ses œuvres, souvent lisibles sur une seule face, la simple transcription du tableau dans un espace à trois dimensions.
Le dessin occupe une grande place dans la pratique de Smith. Sans lien avec son travail en trois dimensions, il lui permet une libre circulation de sa pensée artistique ; quand il accompagne son travail de sculpteur, il est réalisé sur le papier ou à même le sol de son atelier, sur lequel il pose ensuite des éléments métalliques avant de les souder entre eux.
Sa première série de sculptures soudées représente des têtes (Agricola Head, 1933, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid ; Sawhead, 1933, ibid.) proches des constructions de Picasso réalisées à partir d'objets de récupération, qu'il a découvertes via la revue Cahiers d'art.
Initié au cubisme et au constructivisme, Smith subit jusqu'en 1940 l'influence des grands courants européens et l'on retrouve dans ses sculptures, presque essentiellement axées sur la figure humaine, des souvenirs des œuvres de Picasso, Gargallo et González. Viendront s'ajouter plus tard les influences surréalisantes de Miró et de Giacometti, comme le Palais à quatre heures du matin (1932) qui lui inspira Interior (1937, Weatherspoon Art Gallery, University of North Carolina, Greensboro) et Interior for Exterior (1939, Carnegie Museum of Art, Pittsburgh) ou encore Home of the Welder (« Maison du soudeur », 1945, Tate Gallery, Londres).
De ses influences, David Smith tire son puissant sens du dessin dans l'espace. Il abandonne en effet la notion traditionnelle de sculpture, qui induit un modelé dans la masse, en introduisant la transparence. Au cœur d'un réseau de lignes et de plans, il définit un espace creux qui occupe autant d'importance que la masse, comme pour Aerial Construction (1936, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, Washington) qu'il peint intégralement d'une couleur unie et dense. Au début des années 1940, la résonance entre peinture et sculpture développée à l'intérieur et à l'extérieur du cadre devient un thème constant ([...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Maïten BOUISSET : critique d'art
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Autres références
-
DAVID SMITH, SCULPTURES 1933-1964 (exposition)
- Écrit par Thierry DUFRÊNE
- 1 079 mots
On attendait depuis longtemps en France une exposition consacrée au sculpteur américain David Smith (1906-1965) : le Musée national d'art moderne-Centre Georges-Pompidou l'a finalement présentée du 14 juin au 21 août 2006, après qu'un jalon décisif a été posé avec l'...
-
CARO ANTHONY (1924-2013)
- Écrit par Élisabeth LEBOVICI
- 850 mots
- 1 média
L'œuvre du sculpteur britannique Anthony Caro (né en 1924 à New Malden, Surrey) s'inscrit parmi les recherches formelles suscitées par la pratique de la soudure du métal. Cette technique, qui doit tant à Gonzalez et à Picasso, lui permet d'assembler, sans esquisse ou maquette préalable, des éléments...
-
ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Les arts plastiques
- Écrit par François BRUNET , Éric de CHASSEY , Encyclopædia Universalis et Erik VERHAGEN
- 13 464 mots
- 22 médias
...noir et blanc où subsistent seulement quelques fragments agressifs d'anatomie, qui reprendront toute leur place dans les années 1950. Dans la sculpture de Smith, les allers-retours entre abstraction et figuration sont tout aussi nombreux au long des années 1940 et 1950 et se produisent à l'intérieur même... -
KIRILI ALAIN (1946-2021)
- Écrit par Paul-Louis RINUY
- 821 mots
- 1 média
Né à Paris le 29 août 1946, Alain Kirili a incarné pendant plus de cinq décennies la sculpture contemporaine dans son ambition de dépasser les frontières entre New York et Paris, entre la musique, la danse et l’invention tridimensionnelle, entre l’extrême contemporanéité et une modernité fondée...
-
SCULPTURE CONTEMPORAINE
- Écrit par Paul-Louis RINUY
- 8 011 mots
- 4 médias
...(1905-1970), qui réalise uniquement six sculptures, affirme avec la pure verticalité de Here II (1965) la sculpture comme une expérience et un art du lieu. David Smith (1906-1965), de son côté, incarne le pendant sculptural de l’abstraction américaine. D’Australia (1961) jusqu’à la riche série des ...