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DE BEAUX LENDEMAINS (A. Egoyan)

À Cannes, où il a obtenu en 1997 le grand prix du festival, De beaux lendemains, d'Atom Egoyan, a divisé la critique : certains n'y ont vu que « classicisme postmoderniste », tandis que d'autres étaient sensibles à son architecture rigoureuse. Un tel accueil, passionné autant qu'embarrassé, pourrait bien révéler les impressions contradictoires que chaque spectateur ressent à mesure qu'il pénètre dans cette œuvre insolite.

Au cœur du film, un fait divers. Dans un village canadien éparpillé sous la neige au fond d'une vallée, un terrible accident a eu lieu. Le car de ramassage scolaire a dérapé sur le verglas. Projeté dans un ravin, il a terminé sa course au milieu d'un lac gelé, qui l'a lentement englouti. Le roman de Russell Banks, dont le scénario s'est inspiré, est constitué de quatre monologues, chacun reprenant le récit là où le narrateur précédent l'avait laissé. Le film, lui, nous fait graviter autour de la disparition des enfants en suivant le cheminement d'un avocat d'une cinquantaine d'années, Mitch Stephens (admirablement interprété par Ian Holm). Au lendemain du drame, il visite les familles rongées par le chagrin, essaie de les convaincre d'intenter un procès. Pour lui, l'accident n'existe pas. Quelqu'un, pour économiser trois sous, a sacrifié des vies humaines. Il faut donc faire payer le coupable. Certes, l'argent ne saurait effacer la douleur, mais la justice rendue apaisera la colère des parents qui ont perdu leur enfant.

Depuis Family Viewing, qui a révélé Atom Egoyan en 1987, on sait que l'éclatement de la famille est son thème de prédilection. À première vue, De beaux lendemains peut apparaître comme un brillant exercice formel dont la famille déchirée serait seulement le prétexte. Dès les premières images en effet, en trois séquences exactement, on assiste à une exposition du thème (au sens musical) qui ne manque pas d'élégance. D'abord, au cours du générique, on voit, sur un plancher ensoleillé, la danse paisible de la lumière à travers le feuillage d'un arbre. En un lent déplacement, la caméra vient montrer un homme et une femme endormis avec une toute petite fille blottie entre eux. À l'orée du film – qui va se révéler un labyrinthe –, on n'oublie pas cette vision d'un bonheur simple, paradis accessible mais aussi prologue hors du temps.

Deuxième image. Mitch Stephens – nous ne le connaissons pas encore – vient de garer sa voiture dans une station de lavage. Il reste à l'intérieur tandis que le noir rouleau liquide déferle à grand fracas sur le pare-brise. Début d'une histoire, ouverture ? Non, juste une image : elle n'informe pas, elle enferme. Au début d'un film, on cherche du sens, une direction ; or l'image ici ne mène nulle part. Comme la précédente, elle est « un présent » (au double sens du terme) offert au spectateur. Elle suggère que le film pourrait bien être un poème, non une histoire. Dans la voiture, cependant, le téléphone portable sonne. C'est la fille de Mitch, Zoé, qui l'appelle d'une cabine. Enfermée, comme son père, dans un improbable ailleurs, révélant une absence douloureuse, aggravée parce que la jeune fille est droguée, méconnaissable. « Je ne sais pas à qui je parle », lui dit son père. Dialogue précaire, éphémère comme chaque plan d'un film : la communication est coupée.

Une image, quand elle se refuse à entrer dans un récit, constitue une réserve de sens. Le montage, on le sait, a pour fonction de puiser dans cette réserve, d'en retenir ce qui est nécessaire et suffisant pour faire avancer le récit. Ici, on peut se demander si la succession des plans, des séquences n'obéit pas à une tout autre logique.

Troisième séquence. Ailleurs ; près de Mitch ? près de Zoé ? On prépare[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-V-René-Descartes, critique de cinéma

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