DE L'INDUSTRIE FRANÇAISE, Jean-Antoine Chaptal Fiche de lecture

Quand Jean-Antoine Chaptal (1756-1832) publie en 1819 De l'industrie française, deux forts volumes de 533 pages, il est au faîte de sa notoriété. Une des personnalités les plus remarquables du personnel napoléonien, ce savant devenu entrepreneur a aussi été durant l'Empire un ministre de l'Intérieur réformateur. Son livre est publié à un moment charnière de l'histoire de l'industrialisation française. Au tournant des années 1810, la Restauration peut apparaître encore comme un compromis équilibré entre l'ancienne et la nouvelle France issue de la Révolution. Depuis 1814, une politique industrielle cohérente a été mise en place par des technocrates issus de l'appareil d'État napoléonien et devenus le soutien d'une monarchie plus libérale que l'Empire et favorable à l'industrialisation. L'ouvrage de Chaptal s'inscrit dans le sillage de toute une littérature industrialiste hostile à l'héritage de la physiocratie et très circonspecte à l'égard des théories économiques anglaises. De l'industrie française est publiée à un moment où le débat douanier, essentiel pour le développement économique de la France, devient l'enjeu d'un conflit aigu au sein des élites françaises. Son objectif est alors de suggérer une issue au conflit : « J'ai cru, dit-il, qu'il était de mon devoir de tracer la ligne qu'un gouvernement doit suivre et de marquer la ligne où il doit s'arrêter. »

Une définition de « l'économie-nation »

Le livre de Chaptal est partagé de façon très pédagogique en quatre parties. Une première partie est consacrée à l'analyse du commerce extérieur français en 1789, État par État, le tout débouchant sur une analyse d'un problème alors incontournable : la balance du commerce. Une deuxième partie, dont la méthodologie peut rappeler les travaux de Lavoisier, s'attache à décrire « l'industrie agricole » avec l'idée d'évaluer la « richesse territoriale de la France ». La troisième partie se concentre sur « l'industrie manufacturière », analysée secteur par secteur mais avec une note commune, « les progrès des arts mécaniques ». Une quatrième partie, plus hétérogène, a pour objet « l'administration de l'industrie » c'est-à-dire, pour Chaptal, les « règlements de la fabrication », l'opinion des manufacturiers, l'apprentissage, mais aussi ce qui concerne l'organisation du monde ouvrier : compagnonnage, corporations. Cette partie trouve sa conclusion dans une réflexion générale sur la politique douanière de la France. La définition d'une politique douanière propre à assurer le développement de la France est son apport le plus important, qui constitue un outil de réflexion précieux pour un pouvoir tiraillé entre des intérêts contradictoires.

Comparées à cette quatrième partie, les trois précédentes relèvent d'un genre assez classique alors, celui d'une géographie descriptive de la France post-révolutionnaire, guidée par une comparaison entre la situation d'avant 1789 et celle de 1815. D'autres s'étaient auparavant essayés à un tel exercice, ainsi Jean Peuchet, un économiste, protégé de Chaptal, auteur d'un Dictionnaire universel de la géographie commerçante (1800) et d'une Statistique générale et particulière de la France et de ses colonies (1803).

L'ouvrage de Chaptal repose sur un imposant appareil statistique tiré de son héritage ministériel, sans qu'il soit formalisé dans un cadre mathématique. On a pu faire remarquer qu'en dépit de la précision des chiffres avancés il existe beaucoup d'approximations dans ses sources, en particulier sur les productions agricoles. Pour l'époque, cependant, l'effort d'investigation est exceptionnel. Les sources sont empruntées à l'administration[...]