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DE LA TYRANNIE (L. Strauss) et CORRESPONDANCE (L. Strauss-A. Kojève)

C'est en 1939 que Leo Strauss (1899-1973) publie sa première étude sur Xénophon ; en 1948 (traduite en français par Hélène Kern et publiée en 1954) paraît son étude sur le Hiéron du même auteur sous le titre De la tyrannie augmentée d'un essai d'Alexandre Kojève (Tyrannie et sagesse) et agrémentée d'une « mise au point ». C'est ce livre qui reparaît dans une traduction revue par André Enegren et suivie de la correspondance inédite en français que Strauss et Kojève échangèrent entre 1932 et 1965 (traduite par A. Enegren et Marc de Launay, Gallimard, 1997). En 1970 et 1972, Strauss donnera encore au soir de sa vie deux études sur Xénophon : Le Discours socratique de Xénophon et Le Socrate de Xénophon (traduites en français en 1992 aux éditions de l'Éclat).

Cet intérêt voué à un auteur généralement considéré comme « mineur » tient avant tout au souci quasi exclusif porté par Strauss à la « philosophie politique » et à la technique de lecture qui lui est liée. Philosophie et politique sont par essence en désaccord : l'une se meut dans l'élément de la vérité, l'autre, dans celui de l'opinion. Un philosophe qui cherche à dire ce qu'il en est de la vérité du vivre ensemble des hommes (et rien n'importe plus à Strauss que cette question) ne peut que se heurter au problème stratégique de trouver une parole qui devra être entendue par tous, sans cesser cependant d'être en porte-à-faux par rapport à la réalité historique avec laquelle elle est en rupture. Xénophon offre un bon exemple de cette parole apparemment plus accessible, car moins technique, que celle des « grands » philosophes tels que Platon ou Aristote.

Lire Xénophon, ce n'est toutefois pas faire œuvre de redécouverte érudite d'un écrivain du passé, mais c'est avant tout courir le risque « de faire quelques découvertes concernant notre époque ». Et c'est bien là tout l'enjeu de ce commentaire d'un classique : se mettre à l'écoute de ce qui semble le moins actuel – sans projeter sur lui ce que « nous, modernes » avons pu apprendre depuis – afin de pouvoir espérer par là comprendre par comparaison ce qui nous sépare du passé. C'est seulement dans la mesure où l'on est capable de comprendre les anciens non pas mieux qu'ils ne se sont compris eux-mêmes, mais tels qu'ils se sont compris ; que l'on pourra avoir chance de découvrir en eux des questions qui pourront être utiles pour penser notre monde actuel.

L'histoire de la philosophie telle que la pratique Strauss est donc rien moins qu'historiciste ou régressive. Elle est avant tout travail de philosophe en quête non des solutions que le passé serait censé détenir, mais de questions toujours à reprendre en vue d'une meilleure lecture du présent. Et c'est ici que la confrontation avec Alexandre Kojève (1902-1968) devient philosophiquement passionnante. Les deux hommes s'étaient rencontrés à Berlin, dans les années 1920. Ils firent plus ample connaissance à Paris, en 1932, Strauss quittant une Allemagne qui allait sombrer dans le nazisme, Kojève le communisme, l'un ne jurant que par les Grecs, l'autre que par Hegel, auquel il consacre (de 1933 à 1939, à l'École pratique des hautes études) de célèbres leçons d'introduction. Par la suite, Kojève se fixe à Paris et fait carrière dans l'administration européenne, tandis que Strauss part pour Londres et les États-Unis où il passera le reste de son existence à enseigner. Tout semble séparer ces deux hommes, et la correspondance qu'ils échangèrent entre 1932 et 1965 témoigne qu'ils n'étaient pas des êtres à faire des concessions sur ce qui leur importait au plus haut point. C'est en tant que philosophes tenant des positions opposées qu'ils se rencontrent autour du [...]

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