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DE NOUVELLES FORMES DE MATIÈRE

L'homme a façonné la pierre, l'os, le bois, l'argile, et progressivement les métaux... Mais ce n'est qu'au xxe siècle qu'il crée de nouvelles formes de matière, et ce pour accomplir une fonction. Ayant compris le mouvement des électrons dans du germanium (ou du silicium), John Bardeen, Walter H. Brattain et William B. Schockley imettent au point en 1948 le transistor – dispositif amplificateur de petite dimension – qui va permettre de traiter un nombre important de signaux et rendre possible le développement de l'informatique. Ayant compris (à partir des travaux d'Einstein) les mécanismes d'atténuation et d'amplification de la lumière, Arthur L. Schawlow et Charles H. Townes créent vers 1958 un milieu amplificateur de lumière, le laser, qui conduira aussi bien à la microchirurgie qu'aux fibres optiques, et de là à Internet. Plus récemment R. B. Meyer, travaillant sur la symétrie d'arrangements moléculaires, invente, sur le papier, un nouvel état de la matière, baptisé smectique C* – qui permettra peut-être les télévisions à cristaux liquides du futur. Quelques mois après que Meyer en eut posé le principe, des chimistes produisent cette nouvelle matière.

Notre avenir s'appuiera de plus en plus sur des constructions raisonnées de ce genre : systèmes transporteurs pour acheminer un médicament à l'intérieur du corps ; fils supraconducteurs qui permettront de fabriquer des alternateurs, des transformateurs, et peut-être des lignes électriques sans pertes ; matériaux « intelligents » qui pourront par exemple détecter un dommage interne dans une aile d'avion, le localiser, et enfin déclencher un mécanisme de réparation, un peu comme nos os savent le faire après une fracture.

Notre société occidentale réclame surtout du progrès sur deux points : la santé et la qualité de vie. Il est clair que des procédés de chimie douce se substitueront, de plus en plus, à ceux de la chimie classique, que des inventions purement ludiques comme la planche à voile (remarquable utilisation de matières nouvelles et performantes) se multiplieront, que des formes nouvelles d'alimentation verront le jour, que des organes artificiels seront de plus en plus disponibles.

Mais gardons la tête froide. Certains défis techniques restent hors d'atteinte et beaucoup de nos belles inventions ne concernent guère le Tiers Monde.

Sachons bien, aussi, que chaque invention contient en elle-même le pire comme le meilleur. Les responsables, ici, sont politiques. Si l'Inde ou le Pakistan fabriquent des bombes plutôt que de construire des hôpitaux ou des écoles, c'est parce que ces pays en ont fait le choix. L'invention est le propre de l'homme mais elle n'est globalement positive que si elle est gérée par une société lucide.

— Pierre-Gilles DE GENNES

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Écrit par

  • : professeur au Collège de France, directeur de l'École supérieure de physique et de chimie industrielles de Paris, Prix Nobel de physique 1991