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DE TRIBUS IMPOSTORIBUS

Livre mythique s'il en fut, le De tribus impostoribus (Livre des trois imposteurs) a hanté la conscience du Moyen Âge. L'ombre suscitée par son incertaine réalité n'a pas cessé, pendant des siècles, de nourrir l'idée que l'humanité a pu s'engager dans la voie des religions comme en un chemin d'une absurdité et d'une aberration fondamentales. On prête au karmate Abū Tāhin le propos d'où va découler la légende d'un ouvrage qui en développerait l'argument : « En ce monde, trois individus ont trompé les hommes : un berger, un guérisseur et un chamelier. » Les relations amicales que l'empereur Frédéric II entretenait avec le monde musulman, ainsi que son conflit avec la papauté, lui imputent rapidement, à lui ou à son chancelier, Pierre de la Vigne, la responsabilité d'un livre scandaleux où il aurait été démontré que le monde a été mené par trois imposteurs, Moïse, Jésus et Mahomet. D'où serait issu le sentiment de Frédéric ? D'Averroès, qui aurait déclaré : « La religion judaïque est une loi d'enfants ; la chrétienne une loi d'impossibilité ; et la mahométane une loi de pourceaux. » Au xiiie siècle, Thomas de Cantimpré rapporte que Simon de Tournai, ayant parlé de « trois imposteurs qui ont leurré la race humaine », fut aussitôt frappé de paralysie. Parmi les propositions qui incitèrent Alvarès Pelayo à obtenir à Lisbonne, vers 1340, la condamnation de Thomas Scotto, une allusion similaire existe, comme du reste dans l'interrogatoire, en 1512, de Herman de Rijswick. Auparavant, en 1459, si l'on en croit Rainaldus dans ses Annales ecclésiastiques, un certain Jeannin de Solcia, chanoine de Bergame, aurait été condamné pour avoir soutenu que les trois prophètes avaient « gouverné le monde selon leur fantaisie ».

À la Renaissance, les allusions se multiplient. Il semble que Guillaume Postel soit le premier à accréditer l'existence d'un tel livre dans son Traité de la conformité de l'Alcoran avec la doctrine de Luter ou des Évangélistes (1543). Le bruit court que l'on aurait retrouvé dans les papiers de Jacques Gruet, l'ennemi genevois de Calvin, des impiétés contre Jésus-Christ. Dès lors, les imputations vont bon train. On incrimine Michel Servet et, avec tout autant d'invraisemblance, Boccace, Poggio, Machiavel, Ochino, Dolet, Muret, Fausto de Longiano (dont Le Temple de la vérité n'a jamais été retrouvé), Pomponazio, qui, il est vrai, a écrit : « Si les trois religions sont fausses, tous les hommes se trompent ; si une seule est vraie, la plupart des hommes se trompent. » Dans son Atheismus triumphatus, Campanella affirme, sans preuves, que le livre a été imprimé pour la première fois en 1538. Au xviie siècle, Christine de Suède fera en vain rechercher l'ouvrage. Avec le xviiie siècle, les érudits, à la suite de La Monnoie, tentent vainement d'éclaircir un mystère qui est en passe de fournir aux bibliophiles une source singulière de profit. En 1716, il apparaît qu'un libelle proposant la traduction française des Trois Imposteurs est un faux. Les extraits sont ceux d'un livre qui paraîtra en 1719, L'Esprit de M. Benoît de Spinoza, de Jean-Maximilien Lucas, fils d'un pasteur calviniste. Déjà, en 1680, Kortholt n'avait pas hésité à se servir du titre alléchant des Trois Imposteurs pour imposer un pamphlet contre Herbet, Hobbes et Spinoza.

Il faut attendre les recherches de Presser et de Bartsch pour découvrir une piste sérieuse. La bibliothèque de Berlin possède un ouvrage intitulé De tribus impostoribus libellum portant comme date d'édition 1598. Or deux références, l'une à la sainteté d'Ignace de Loyola, l'autre à la philosophie des Chinois et des Indiens, révoquent en doute l'authenticité d'un texte prétendument ancien, voire[...]

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