LEVY DEBORAH (1959- )
Article modifié le
L’écrivaine britannique Deborah Levy est née le 6 août 1959 à Johannesbourg (Afrique du Sud), d’une mère britannique et d’un père juif lituanien opposant au régime de l’apartheid, qui fut emprisonné pendant plusieurs années. À sa libération et alors que sa fille a neuf ans, la famille émigre à Londres. Après des études de théâtre au Darlington College of Arts, Deborah Levy débute sa carrière en tant que dramaturge, mais publie également des romans, des nouvelles et de la poésie qui déjouent les conventions littéraires et révèlent son goût pour l’expérimentation et la quête de formes nouvelles. En 2011, elle s’affirme sur la scène littéraire avec la publication du roman Swimming Home (Sous l’eau, 2014) qui confirme son attrait pour les personnages excentriques et les intrigues insolites qu’elle continuera de développer dans ses ouvrages ultérieurs. Sa production comprend également des récits de soi dont les deux premiers furent couronnés du prix Femina étranger en 2020. Elle nomme « autobiographie du vivant » ces textes qui renouvellent les codes génériques et sont le lieu de réflexions philosophiques et littéraires féministes.
Des identités fracturées
Les pièces expérimentales de Deborah Levy, dont certaines furent jouées par la Royal Shakespeare Company, sont marquées par une forte présence féminine, qu’il s’agisse de rendre compte de l’histoire européenne du xxe siècle par la voix de quatre femmes dans Pax (1984), de pointer les inégalités de pouvoir entre les genres dans Clam (1985) et Heresies (1986) ou de mettre en scène cinq femmes originaires de pays différents qui délivrent tour à tour un monologue dans leur langue maternelle dans The B File (1992).
Le point de transition entre théâtre et prose s’opère dans les premiers romans à la forme éclatée, Beautiful Mutants (1989), Swallowing Geography (1993) et The Unloved (1994), ouvrages structurés en tableaux où des personnages apparaissent et disparaissent sans logique apparente, et où les voix et perspectives s’affrontent et s’entremêlent. Ses romans mettent souvent en scène des femmes à la dérive, sous emprise ou, au contraire, tout en maîtrise. Dans Sous l’eau, une jeune femme mystérieuse vient perturber le séjour de vacanciers dont certains secrets enfouis remontent à la surface tandis que, dans Hot Milk (2016), la narratrice tente d’échapper au contrôle étouffant de sa mère hypocondriaque. Dans ces deux romans, finalistes du Booker Prize, une prose elliptique, lancinante et parfois lyrique dessine les contours de relations frustrées et d’identités fracturées. The Man Who Saw Everything (2019) brouille les frontières entre présent et passé, réel et imaginaire, singulier et collectif, et interroge la fiabilité du regard et des souvenirs d’un homme qui mène des recherches sur la tyrannie politique, mais peine à percevoir la portée dévastatrice de ses propres trahisons. Dans August Blue (2023), la protagoniste est troublée par l’apparition récurrente d’un double d’elle-même et plonge dans sa mémoire refoulée pour tenter de comprendre qui elle est véritablement. L’œuvre fictionnelle de Levy est marquée par la répétition de motifs symboliques (l’eau, les chevaux, la figure du double), par une dimension onirique ou surréelle et par cette inquiétante étrangeté chère à Freud qui témoigne de la hantise du passé. L’auteure, qui a adapté deux études de cas de Freud en pièces radiophoniques pour la BBC, qualifie son écriture de réalisme spectral, mais se reconnaît également des affinités avec le modernisme et le surréalisme.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Vanessa GUIGNERY : habilitée à diriger des recherches en études anglophones, professeure des Universités à l'École normale supérieure de Lyon
Classification