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DÉBUTS DE L'ACQUISITION DU LANGAGE

Deviner le sens des mots

Lorsqu’un mot est extrait, il faut lui assigner un sens, ce qui est particulièrement délicat, car le lien entre son et sens est arbitraire : rien dans la forme sonore « chien » ne permet de déduire qu’il s’agit de l’animal à quatre pattes. Pour résoudre ce problème, les enfants s’appuient sur les interactions sociales, comme la direction du regard du locuteur, pour deviner de quoi on parle. Par exemple, si un enfant joue avec des objets nouveaux (comme des dinosaures) et qu’une expérimentatrice dit : « Oh ! regarde, un modi ! », tout en regardant alternativement le jouet et l’enfant, l’enfant apprend que « modi » désigne l’objet nouveau. Si l’expérimentatrice prononce les mêmes mots, mais en parlant au téléphone et sans regarder l’enfant, alors il n’apprend pas que « modi » désigne l’objet nouveau.

En plus du contexte social, les enfants peuvent aussi exploiter le contexte linguistique d’un nouveau mot pour deviner son sens. Ainsi, si un enfant regarde une scène où un objet fait une action (une pomme qui saute) et qu’il entend simultanément : « Regarde la dase ! Tu vois la dase  ? », il pensera que « dase » désigne l’objet. En revanche, s’il entend : « Regarde, elle dase  ! Tu la vois qui dase  ? », en regardant la même scène, il pensera que « dase » désigne l’action. Des enfants de deux ans sont déjà capables de faire ce type d’inférence : ils pensent qu’un mot nouveau présenté dans un contexte de nom réfère à un objet, alors que s’il est présenté dans un contexte de verbe il réfère à une action.

Plus généralement, Lila Gleitman a proposé que les très jeunes enfants peuvent exploiter la syntaxe des phrases où ils entendent des mots nouveaux pour leur donner un sens (hypothèse dite d’« initialisation syntaxique »). Par exemple, un verbe de transfert tel que « donner » ou « prendre » peut avoir jusqu’à trois groupes nominaux comme arguments (« quelqu’un donne quelque chose à quelqu’un d’autre »), tandis qu’un verbe de pensée, tel que « penser » ou « croire », prend une proposition entière comme complément (« je pense que… »). Ainsi, bien qu’il ne soit pas toujours possible d’observer le sens d’un verbe, soit parce qu’il s’agit d’une action passée ou future, soit parce qu’il décrit un état interne, les enfants pourraient déduire une partie de son sens à partir du contexte syntaxique. Par exemple, un enfant qui entend « la maman dase un lapin à son bébé», pourrait déjà savoir que « daser » est un verbe de transfert impliquant trois participants, ce qui restreint beaucoup les sens possibles de ce verbe.

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Écrit par

  • : directrice de recherche au CNRS, directrice du laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistiques, UMR 8554, École normale supérieure, Paris
  • : doctorante

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