DÉCEMVIRS & LIVRES SIBYLLINS
Les Livres sibyllins ne contenaient pas d'oracles, mais un catalogue de remèdes que l'on consultait au nom de l'État en cas de prodiges (naissances de monstres humains ou animaux, pluies de pierres ou de sang, etc.) et qui fournissait une procuratio (expiation) à ces signes de la colère divine. D'après la tradition légendaire, ils avaient été acquis, après un marchandage laborieux, par le roi Tarquin le Superbe à une vieille femme (la sibylle de Cumes pour certains). Si la légende fournit approximativement la date d'introduction des Livres à Rome, elle est beaucoup plus douteuse pour expliquer leur contenu (les rapports entre ces livres, Cumes et Apollon n'étant qu'un anachronisme ultérieur des historiens). Composés de prescriptions partiellement étrusques, partiellement grecques et comprenant sans doute aussi de vieilles prophéties italiques, les Livres furent gardés jusqu'à la fin de la République dans le temple de Jupiter Capitolin et confiés aux soins d'une commission de deux prêtres, transformée en collège permanent de dix membres en ~ 367 (les decemviri sacris faciundis, recrutés moitié parmi les patriciens et moitié parmi les plébéiens). Ce collège, à la différence de ceux des pontifes et des augures, garants de la religion romaine traditionnelle, joua un très grand rôle dans la pénétration des dieux et des rites étrangers à Rome et, par conséquent, dans l'évolution religieuse des Romains. Les décemvirs, bien que n'ayant pas primitivement de rapport avec l'Apollon adoré au champ de Mars, se placèrent sous l'autorité du dieu qui devint l'inspirateur des prophéties contenues dans les Livres. Aucun témoignage ne nous permet de savoir comment les Livres sibyllins étaient consultés par les décemvirs, mais toutes les innovations que ces derniers ont apportées à la religion officielle ont été accomplies ex libris, c'est-à-dire après consultation des Livres sibyllins. Aux ~ iiie et ~ iie siècles, les décemvirs eurent à leur actif l'introduction de divinités grecques ou étrangères (Esculape en ~ 293, Dis Pater et Proserpine en l'honneur desquels furent organisés les ludi Tarentini en ~ 249, Mens et Vénus Érycine en ~ 217, Cybèle en ~ 205) ; ils initièrent les Romains aux cérémonies de caractère hellénique, propres à susciter l'émotion religieuse de tous les fidèles (les lectisternes, ou banquets divins, offrant à la dévotion populaire l'image visible des dieux étendus sur des lits : le premier en ~ 399, exposant trois couples de divinités, Apollon-Latone, Hercule-Diane, Mercure-Neptune, puis tous ceux qui se succédèrent pendant les siècles suivants à l'occasion de prodiges ou d'épidémies, jusqu'au grand lectisterne de ~ 217, regroupant les douze divinités principales de l'Olympe ; les supplications ou processions du peuple romain tout entier dans les sanctuaires de la ville). Lors des troubles religieux de la deuxième guerre punique, les Livres sibyllins, augmentés en ~ 213 des Carmina Marciana, prophéties italiennes récupérées par le sénat, furent consultés à maintes reprises et prescrivirent des mesures faisant aussi bien appel au ritus græcus qu'aux traditions nationales : vœu de l'archaïque Printemps sacré à Mars en ~ 217, supplications et lectisternes, Grands Jeux en l'honneur de Jupiter, jeux Apolliniens (ludi Apollinares) en ~ 212, etc., ainsi qu'à des rites de provenance plus obscure, comme le sacrifice de deux Grecs et de deux Gaulois enterrés vivants après Cannes au forum boarium (à deux autres reprises, cette exécution barbare fut commandée par les Livres : en ~ 266, lors de l'imminence d'une invasion gauloise, et à la fin du iie s.). Les décemvirs, qui n'appartiennent pas aux cadres anciens de la religion traditionnelle, ont eu par conséquent une influence prépondérante[...]
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Écrit par
- Catherine SALLES : agrégée de lettres classiques, assistante à l'université de Paris-X
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