DÉCHRISTIANISATION
Déconfessionnalisation
Lucien Febvre a décrit dans son Rabelais les rites et les rythmes d'un État chrétien. Or la question de l'État chrétien a fait couler beaucoup d'encre (Marx, Engels, etc.). À cette question de l'État chrétien est venue s'ajouter ultérieurement celle des organisations chrétiennes : partis, syndicats, coopératives, œuvres sociales et culturelles. La déchristianisation, en ces domaines, signifie l'abandon de l'appartenance confessionnelle, le poids du substantif l'emportant désormais sur celui de l'épithète. L'État pour être État, le syndicat pour être syndicat, les œuvres pour être des œuvres doivent cesser d'être encloses dans la limite d'une religion. Des batailles homériques ont été ainsi livrées autour du qualificatif « chrétien » qui confessionnalisait et l'action et l'audience, et par là même imposait des limites soit à l'action soit à l'audience. De la même façon s'était accomplie l'émancipation des diverses sciences par rapport aux théologies.
Les christianismes, dans leur effort pour surmonter les difficultés engendrées par l'écart entre la religion et la vie, avaient fondé, sur le terrain même de l'action, ce que le sociologue néerlandais Kruyt nomme leurs piliers (pillars) et avaient fomenté pour autant leur « pillarisation » : parti, syndicat, coopérative, jeunesse, assistance sociale, enseignement, tous moyens en vue de faire passer, selon le slogan célèbre, « toute la religion dans toute la vie ». Mais, à partir d'un certain moment, pour de telles organisations, la logique interne qui les pousse à être elles-mêmes dans toute leur intensité et dans toute leur extension se trouve plus forte que la logique externe qui les poussait à se réclamer du ou d'un christianisme, et cela pour plusieurs motifs : en raison de leur audience qui tend à ne plus se limiter à une clientèle dénominationnelle ; en raison de leur objectif spécifique qui définit de plus en plus par lui-même et pour lui-même sa propre valeur, sa propre technique, sa propre déontologie ; en raison enfin du christianisme lui-même qui exige une certaine réserve par rapport à ce royaume des moyens, qui demeure fixé sur un règne des fins et requiert une organisation et une vie – ecclésialement ou ecclésiologiquement – relevant d'autres logiques que celles d'une organisation sociologique ou politico-sociale ayant sa propre problématique.
Pour un certain laps de temps se perpétuent encore des mouvements qui, s'ils ne sont pas « chrétiens », demeurent, comme on dit, d'« inspiration chrétienne » : le contrôle de ce nouveau modèle s'exerce soit par un téléguidage théologique latéral, soit par un crypto-contrôle au cœur des mouvements. Mais déjà l'obligation pour les chrétiens de jouer franc jeu dans la nation à laquelle ils appartiennent tend à sectionner ce qui demeure encore de ce cordon ombilical, voire à ménager des exodes de chrétiens dans des organisations radicalement achrétiennes jugées par eux moyen plus adéquat pour les objectifs sociaux à atteindre.
Là aussi, c'est une nouvelle forme de déchristianisation. Elle sera considérée par les uns comme démantèlement de l'« efficacité » chrétienne, une désaffection pour des appareils à travers lesquels le christianisme exerçait son règne, un dépérissement d'une religion du Christ-Roi. D'autres, au contraire, voient dans cette redistribution – y compris dans ses dimensions déconfessionnalisantes – les prodromes d'un œcuménisme de l'action et de la vie (cf. Département Life and Work du Conseil œcuménique des Églises), terrain et terreau dans lequel le grain chrétien devrait dépérir et disparaître pour porter son fruit.
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Écrit par
- Henri DESROCHE : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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