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DÉCHRISTIANISATION

Désacralisation

La mutation qui vient d'être décrite aura été largement préparée par les thèses sur le passage d'une chrétienté sacrale à une chrétienté profane (J. Maritain). Certains, pour nommer cette désacralisation qui ne serait pas, pour autant, une profanation, se sont trouvés conduits à forger le mot « profanisation ». Il s'agissait moins d'une éclipse que d'un transfert du sacré. Max Weber en avait décrit les premières phases dans ses célèbres analyses sur l'ascétisme et le mysticisme intramondains : ce qui, pour le puritain anglais analysé par Max Weber, n'avait été qu'une valeur profane prenait dans son nouveau comportement une valeur sacrée ; la réussite dans son métier devenait le signe de sa vocation. Quand un métier est perçu comme une vocation, ce qui était profane devient le lieu d'une expérience sacrale ; mais, inversement, lorsque ce qui a été perçu comme une vocation en vient à être exercé comme un métier, il y a désacralisation. Ici, la déchristianisation est faite de ces chassés-croisés.

Effacement du sacré...

Le sacre du Roi Très Chrétien cède la place à l'élection par le peuple. La langue sacrée des Écritures se voit remplacée par les langues populaires, avec Wycliff, Jean Huss, puis Luther. Le système des biens d'Église conçu comme organisation de la péréquation des ressources par l'aumône est relayé par l'organisation technique de la sécurité et de la solidarité sociales. La paroisse cède devant le village, la liturgie devant le théâtre et la chorégraphie, l'espérance devant la prospective, la doctrina sacra devant les sciences humaines de la religion, les exorcismes devant les thérapeutiques cliniques, les conciles devant les congrès, les pèlerinages devant les routes de l'Amitié, les temples et les églises devant les maisons du peuple ou les maisons de la culture, la Cène devant le banquet, le rite devant l'outil, le calice devant la coupe, l'alchimiste devant les maîtres de forges, les livres sacrés devant le livre du monde, la procession devant le défilé, le cantique devant la chanson, le psaume devant le poème, la cloche devant la sirène, le prophète devant l'informaticien, le thérapeute devant le médecin, l'orgue devant la musique concrète. Toute une série de gestes, de comportements, de rôles, de techniques qui s'accomplissaient dans une ambiance sacrale se réalisent désormais dans un registre profane. Des pans entiers du christianisme sont emportés dans ce processus.

... et resacralisation

Resacralisation, parce que, comme le disait Durkheim, il est de l'essence du sacré de « contagionner le profane ». D'abord toute une série de nouveaux métiers sont eux-mêmes reconnus comme des vocations. L'ascétisme et le mysticisme intramondains de Weber ne sont pas limités au comportement du puritain. Ils envahissent toutes les manières selon lesquelles les hommes se situent dans le monde et envisagent ce monde, y compris quand ils y attendent l'implantation d'un Éden : d'où « la religion du bonheur », décrite par Saint-Simon dans la présentation de son Nouveau Christianisme. Un ancien texte croyait enfermer dans un triptyque la vie profane dévolue au laïc : « Terram colere, uxorem ducere, decimas reddere » (« cultiver la terre, prendre femme, payer les dîmes »). Mais désormais, à partir du xixe siècle, cultiver le globe, retrouver l'androgyne, établir la solidarité mondiale, tout cela prend rang de valeur sacrée ou quasi sacrée. C'est si vrai que toute une réflexion chrétienne s'oriente de plus en plus vers une théologie dite des « réalités terrestres ». Et dans la mesure où cette mutation n'est pas accomplie, s'accomplit non pas une liquidation, mais un transfert du sacré qui recherche l'équivalent des anciens cultes ou des anciennes[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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